L’hypothèse de « myopie face au désastre » (disaster myopia) a été formulée pour la première fois en 1986 par Jack Guttentag et Richard Herring, deux professeurs à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, pour analyser les crises bancaires.
L’hypothèse de « myopie face au désastre » consiste à sous-estimer la probabilité de chocs peu fréquents dans un environnement incertain.
Etant donné l’état de l’économie, le comportement des décideurs tunisiens semble être sérieusement affecté par pathologie.
Plusieurs indices pointent dans cette direction.
• Croissance : Des projections pour l’économie mondiale, tablent sur une croissance vigoureuse pour 2021 et 2022. En Tunisie, la croissance demeure anémique et les révisions à la baisse sont inévitables.
• Finances publiques : Un bouclage incertain du budget 2021, digne d’un accouchement par césarienne, et un doute sur la consistance des réformes que porterait la LF 2022.
• Financement intérieur : Des adjudications successives déclarées infructueuses (surtout pour les BTA), un emprunt national non attractif pour le citoyen, un essoufflement des prêts syndiqués et un plafonnement de l’exposition des banques en titres du Trésor. Montée du risque souverain oblige.
• Financement extérieur (hors marché) : Deux programmes inachevés avec le FMI et un ancrage du décaissement des autres bailleurs sur la signature de l’accord avec le Fonds. Un tarissement des sources des financements multilatéraux et bilatéraux.
• Marché international : Le spread de la Tunisie dépasse les 1500 points de base et la prime CDS (Credit Default Swap) des obligations tunisiennes dépasse les 900 pb. Un marché qui devient inaccessible.
La Tunisie a choisi la voie du populisme !
A l’heure de la mise en place de stress tests qui intègrent les événements extrêmes (défaut de paiement, crise sanitaire, catastrophe écologique…), la Tunisie a choisi la voie du populisme !
Que devrons-nous ajouter à ce tableau pour qu’on cesse de polémiquer sur l’article 80 de la Constitution, sur les chiffres des manifestants… et atterrir sur la planète des indicateurs de la montée de la pauvreté, du creusement des inégalités et de l’insoutenabilité de la dette ?
Que devrons-nous y ajouter, pour que l’on cesse de caresser la théorie du complot, en diabolisant les agences de rating, une porte d’entrée incontournable pour un refinancement sur les marchés ?
La souveraineté d’un pays ne se décrète pas, mais se cultive et se construit peu à peu, loin de la symphonie populiste, par la volonté de réformer une économie lourdement déformée !
(Article publié sur L’Economiste Maghrébin n°829)