L’Article 3 du Décret présidentiel n°2021-117 du 22 septembre 2021 mettait fin aux primes et avantages octroyés aux députés gelés. Mais il pose des problématiques d’ordre juridique, outre l’aspect humain, qui conduisent à une impasse.
Il s’agit sans aucun doute d’un cas d’école, d’un imbroglio politico-juridique. Où l’on découvre sur le tard qu’un décret présidentiel, pris dans le cadre d’un Etat d’exception, peut porter en son sein les germes de l’injustice et de l’impasse.
Ainsi, l’Art. 3 du Décret Présidentiel n°2021-117 du 22 septembre 2021, relatif aux mesures exceptionnelles, stipule qu’ « il est mis fin à toutes les primes et tous les avantages octroyés au Président et aux membres de l’Assemblée des représentants du peuple ». Or, il se trouve que certains députés gelés, les travaux du Parlement étant suspendus sine die, n’ont que leurs salaires d’élus pour subsister. Tandis que d’autres ne peuvent réintégrer leurs anciens postes en tant que fonctionnaires.
Vendre des livres au lieu du persil
Tel est le cas emblématique du député gelé, Abdellatif Aloui. En effet, celui-ci a lancé une campagne pour vendre ses livres. « Afin qu’il puisse subvenir aux besoins de sa famille ».
« Tout comme Moncef Ben Salem qui avait vendu du persil pour qu’il puisse vivre et ne pas s’agenouiller. Aujourd’hui je lance une campagne pour vendre mes livres, pour vivre et faire vivre ma famille ».
« La famine et la réduction des moyens de subsistance ont toujours été l’arme des tyrans. Et aujourd’hui le coup d’État fait la même chose que Ben Ali… En suspendant la seule source de subsistance à des dizaines de députés ». Ainsi, annonçait le député de la Coalition Al-Karama sur sa page FB.
Mais, le plus scandaleux, c’est que l’ensemble des députés n’ont plus accès aux soins, à cause de l’activation du fameux décret 117.
Le droit à la vie en jeu
C’est le cas tragique de deux députées dont Hager Bouhlel. Laquelle souffre d’un cancer qui nécessite une chimiothérapie particulièrement onéreuse et dont la Cnam lui refuse la prise en charge. Sachant que sa séance de chimiothérapie est programmée pour le vendredi 22 octobre.
Ce refus des soins est consécutif au Décret présidentiel 117, attestant l’arrêt de la carte de soins de la CNAM.
Mme Bouhlel, fonctionnaire de son état, est députée depuis quatre mois. Elle avait remplacé le défunt Mabrouk Khachnaoui suite à son décès des suites du Coronavirus. N’ayant pas intégré son poste à ce jour, et pour cause, elle a lancé un appel de détresse au président de la République, Kaïs Saïed. Et ce, pour solliciter dans l’urgence une solution légale, afin qu’elle puisse disposer de son droit à la santé et aux soins.
Heureusement que le calvaire des deux élues atteintes de cancer a pris fin. Puisque le PDG de la CNAM, Habib Toumi, affirmait mercredi 20 octobre 2021 sur les ondes de Shems FM, que la présidence de la République a décidé de prendre en charge les soins de deux députées. Expliquant qu’il s’agit « d’une mesure exceptionnelle qui répond à l’urgence de la situation ».
Alors, l président de la République devra-t-il intervenir pour chaque cas similaire? N’y a-t-il pas urgence à modifier l’Article 3? Du moins pour garantir les soins médicaux aux députés gelés?
D’autre part, il faut reconnaitre que la suspension des salaires et primes des députés, en vertu du même article, est préjudiciable. Notamment à une catégorie de députés issus de la fonction publique. Lesquels sont privés de leur unique source de revenus, étant en situation de mise en disponibilité.
Recours au Tribunal administratif pour sortir de l’impasse
Pour preuve, le SG du Parlement suspendu, Adel Hanchi, a indiqué ce mercredi que plus de 100 députés appartenant aux secteurs public et privé, ainsi que des retraités, se retrouvent, aujourd’hui, sans salaire du mois d’octobre. Une situation qui est appelée à se poursuivre pendant la période restante de la session parlementaire.
« Des députés concernés ont contacté l’administration du Parlement pour s’enquérir du statut juridique de leurs rémunérations. Et dès qu’ils ont appris qu’ils ne recevraient pas leurs salaires du mois d’octobre, ils ont annoncé qu’ils déposeront un dossier auprès du Tribunal administratif pour l’abrogation de ce décret », ajoute-t-il.
Or, l’Art. 7 du Décret présidentiel n°2021-117 du 22 septembre 2021 stipule clairement que « les décrets-lois ne sont pas susceptibles de recours en annulation ». Alors que faire?
Pour sortir de cette impasse juridique, le député suspendu Nabil Hajji propose soit de dissoudre le Parlement par décret présidentiel, soit de permettre aux députés, en détachement, de reprendre leur fonction. En attendant de trancher cette question de manière définitive.
Faute d’une Cour constitutionnelle qui aurait dit la loi, cette proposition originale mérite qu’on s’y attarde, pour sortir de l’impasse.