« Les personnes ne meurent pas quand on les enterre, elles meurent quand on les oublie ».
J’ai connu Ezzeddine Larbi à la rentrée universitaire de 1978. Nous étions de jeunes enseignants à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Tunis.
Ezzeddine Larbi faisait partie d’un groupe d’enseignants ayant obtenu leur PHD aux Etats Unis, tandis que je faisais partie de ceux ayant obtenu leur Doctorat d’Etat en France. Ces deux groupes ont appris à travailler ensemble et ont réussi à fonder, contrairement à d’autres pays, une Ecole tunisienne d’économie, alliant les analyses économiques approfondies et les techniques économétriques, dont le défunt était l’un des spécialistes et pour qui une recherche qui n’était pas basée sur l’utilisation des techniques économétriques n’en était pas une. Ses travaux lui ont permis d’être agrégé lors du concours organisé en 1980.
Affecté à l’IHEC de Carthage, il a pris en charge différents cours d’économie, ce qui a permis d’élever le niveau de l’enseignement de l’économie dans une école de
gestion. A l’IHEC, le défunt a tenté une expérience unique d’enseignement en langue anglaise, expérience appréciée par les étudiants, mais malheureusement arrêtée lorsqu’il a
quitté l’institution.
De même, il a participé à plusieurs jurys de recrutement des enseignants de différents niveaux en économie et en méthodes quantitatives dont j’étais membre pour certains, et je me rappelle que son appréciation des dossiers était basée sur la capacité des étudiants à maitriser et utiliser les techniques économétriques dans leur analyse.
En parallèle avec son métier d’enseignant à l’IHEC, le défunt a occupé le poste de directeur des études à l’Institut du financement du développement (IFID) pendant une quinzaine
d’années, entre 1983 et 1998. Les anciens étudiants de l’IFID, occupant actuellement de hautes responsabilités dans les banques et les compagnies d’assurance, se souviennent de
son apport scientifique et pédagogique, dans une institution dirigée par des cadres administratifs. Il a réussi à développer une activité de recherche au sein d’une institution censée former des cadres pour le secteur financier.
Cette activité a permis à l’IFID de disposer de publications sur différents domaines
dont l’emploi ou la balance des paiements ainsi que d’une revue traitant de thèmes liés au fonctionnement de l’économie tunisienne des années 80. J’ai eu le plaisir de travailler avec lui, puisqu’à ce moment là, j’étais en charge d’un cours sur les marchés monétaires et financiers.
A mon avis, l’IFID a joué un rôle important à un moment où la Tunisie a commencé à réformer son système monétaire et financier de par les études et réflexions qui ont permis d’éclairer les décideurs politiques sur la nécessité de libéraliser le système.
Fort de son expérience, Ezzeddine Larbi s’est vu rejoindre, en 1999, la Banque mondiale à Washington et la Banque africaine de développement entre 2004 et 2008, à Tunis. Il a poursuivi son activité auprès de la BAD jusqu’à son décès en tant que consultant, ce qui lui a permis de faire profiter plusieurs pays africains de son expertise.
Nos carrières se sont croisées à plusieurs reprises, à la Faculté de droit et des sciences économiques de Tunis ainsi qu’à l’IHEC et à l’IFID. Mais au-delà de nos activités d’enseignement et de recherche, une amitié était née. En effet, j’appréciais tout particulièrement sa hantise des discours creux et des analyses non basées sur des indicateurs clairs et précis.
J’appréciais également l’Homme et sa petite famille, une épouse irlandaise mais qui s’est adaptée aux coutumes tunisiennes, et un fils qui a mené d’excellentes études au Canada et est devenu un expert menant une excellente carrière sur les places financières de Dubaï et de Londres.
C’était aussi un homme jovial, bon vivant, appréciant la vie et les bonnes anecdotes. Tunisien dans ses valeurs, Américain dans sa vision du monde. Il est parti avant nous, trop tôt, trop vite. Sa disparition nous rappelle comme une évidence que nous sommes finalement peu de choses et qu’il faut profiter de chaque seconde, de chaque minute ici-bas.
C’est avec beaucoup de tristesse que je présente mes plus sincères condoléances à son épouse et à son fils, en rappelant à celui-ci le dicton bien de chez nous : « Celui qui enfante ne disparaît jamais »