Le 31 août 2021, disparaissait Ezzeddine Larbi. Économiste distingué, auteur de plusieurs publications qui font autorité, expert de renommée mondiale, il a été aux responsabilités à la BM et à la BAD. Enseignant universitaire de haut rang, il a exercé ses talents dans les prestigieuses universités américaines, à l’IHEC Carthage, à la Faculté des sciences économiques de Tunis et à l’IFID, dont il fut l’un des fondateurs. C’est pour saluer sa mémoire et son oeuvre que nous lui avons dédié ce numéro Spécial Finance.
Je ne m’imaginais pas un jour parler au passé du défunt Ezzeddine Larbi. Il respirait de son vivant, la vie : le regard vif, le verbe haut et l’air terriblement juvénile, en dépit d’une longue carrière et d’un parcours professionnel à faire pâlir d’envie.
Ezzeddine Larbi portait bien son nom : Ezz eddine, à force de rectitude, de probité morale et de droiture, « Ezz ennes », il l’était sans conteste, le meilleur, dira-t-on, d’entre nous. Il l’était devenu par sa vivacité d’esprit, son intelligence des faits et des hommes, son audace et son engagement de tous les instants.
Il se distinguait par sa capacité de convaincre, sans jamais forcer le trait. Et sans jamais se départir de son sourire souvent moqueur, aux multiples intonations. Ezzeddine Larbi, c’est la rationalité faite homme.
« L’économie », qui le passionne et qu’il prend plaisir à enseigner, il ne pouvait la concevoir autrement qu’une discipline scientifique, rigoureuse dans la démarche, globale dans la perception, et dont on pressent avec quelques exactitudes les effets. Elle a vocation à rendre intelligible ce qui n’y parait pas. Il n’y a pas de place chez lui pour l’à-peu-près ou l’approximation.
Il était toujours sûr de lui, même quand il était pris par le doute. Ce qui lui donne ce trait d’humilité propre aux grands de la discipline. Pour autant, il ne s’empêchait pas de rire des inepties de la vieille garde et de tourner en dérision les politiques qui naviguent à vue, sans référence théorique : c’est là où sa nature reprend le dessus. Quand il retrouve son ton docte pour asséner arguments, mises en garde et conseils.
Il y avait chez lui comme une obsession d’entretenir une sorte de va-et-vient entre goût de la modélisation et besoin d’accomplissement pratique. Il voulait donner du sens et plus de chair aux théories qu’il professe ou qu’il décline en plan d’action. Où qu’il fut. Il ne cachait pas son ambition de vouloir peser sur le cours des choses, d’aller jusqu’au bout de sa vision d’un ordre économique mondial plus juste et plus équilibré. Et surtout d’une Tunisie libérée de ses entraves, de ses tabous, de ses archaïsmes sociaux et de ses vraies fausses certitudes.
Il intervenait dans le débat public, sa façon à lui de prendre ses responsabilités et de faire sortir de leur réserve économistes et enseignants universitaires. Son passage à la tête des conseillers économiques du chef de gouvernement Hédi Baccouche 1987-1989 s’inscrit dans cette vision.
Le changement, synonyme d’innovation, de rupture, de quête du futur, c’est son sujet de prédilection. La gestion du changement qu’il met en perspective et pratique au sein d’organismes mondiaux figure au centre de ses préoccupations.
A l’IHEC, où il nous a rejoints en 1980, il y avait peu d’issues pour de nouvelles avancées académiques. Qu’importe ! A défaut de créer une nouvelle chaine ou de nouvelles filières novatrices, il n’a pas trouvé mieux que d’enseigner son cours en anglais, à
la surprise générale. Il lui fallait une langue vivante, une langue d’avenir pour un pays d’avenir. Empreinte éphémère, puisqu’elle n’a pas survécu à son départ et aux aléas du temps.
A l’IFID (1983-1998), dont il était l’un des fondateurs, il y a laissé davantage de traces. Et un enseignement majeur : que quand on veut, on peut et quand on peut, on doit. Le palmarès est on ne peut plus éloquent : deux générations de financiers up to date, qui font aujourd’hui la fierté et la force de la place financière. Pour avoir été conçu sur la base d’une vision futuriste, l’IFID, dont il était le directeur des études, rivalise aujourd’hui avec les meilleures institutions du même genre.
Ezzeddine Larbi était ainsi fait : sa ligne d’horizon va bien au-delà de l’espace qu’occupe un amphi, aussi prestigieux soit-il, dont il cultive la passion. Ici et ailleurs. Il avait enseigné dans des universités américaines à retentissement international. Mais il y avait chez lui ce besoin de s’accomplir ailleurs que dans les allées universitaires. Là où se jouent en partie l’avenir de l’économie-monde (Banque mondiale) et celui du continent africain (BAD).
A la BM – comme économiste en chef – avant d’être détaché à la BAD pour faire face aux urgences d’un continent en gestation, il était au coeur de l’action, en pilotant plans d’assainissement, d’ajustement, de réformes structurelles et de redressement économique.
Ses préconisations lui avaient valu la reconnaissance de la Banque mondiale et de la BAD et le respect d’États concernés. Il abhorre la dictature des idéologies et des solutions prêtes à porter sans discernement.
Chez lui, rigueur et pragmatisme font bon ménage ; il se faisait fort d’intégrer
dans sa démarche la dimension psychologique propre à chaque pays. Il mettait même en garde ceux qui voulaient produire de la croissance, sans fabriquer au préalable le consensus.
Ces derniers temps, il s’alarmait de la situation du pays, loin de tout apaisement au sortir
d’une révolution tumultueuse, dont on ressent aujourd’hui encore les convulsions. Comme à son habitude, il n’a pas fait mystère de son diagnostic, de ses mises en garde et de ses conseils pour éviter que le pire ne se produise.
On mesure aujourd’hui, à sa disparition, la portée de ses propos et analyses. Et le vide qu’il laisse derrière lui. Au moment où l’on a le plus besoin de sa contributionà l’effort de redressement national.
Il ne doit pas être heureux, là où il est, de savoir que le pays qu’il avait tant défendu
et aimé traine au plus bas du classement mondial. Comment se consoler de sa disparition.
A son épouse, à son fils, à ses proches et amis et à toute la communauté des économistes, nos condoléances les plus attristées. Paix à son âme.