En déplaçant les tonnes de sachets poubelles y compris hospitaliers et toxiques de la ville de Sfax aux environs de Agareb, le gouvernement met en vérité la chachia de l’un sur la tête de l’autre. Mauvais calcul doublé d’une courte vue.
Gouverner, c’est prévoir. Or, la gestion désastreuse du dossier épineux des déchets ménagers qui ont transformé Sfax en une poubelle à ciel ouvert, a démontré l’incapacité de nos dirigeants, à affronter une situation, certes compliquée, sans recourir à la brutalité policière. Et ses répercussions sur la population de Agareb.
Sinon comment expliquer la cacophonie surréaliste de la prise de décision au plus haut de l’Etat. A savoir: une ministre de l’Environnement dépêchée sur place pour trouver une solution à une situation sanitaire catastrophique et qui revient bredouille. Une cheffe du gouvernement qui reste muette sur ce dossier, alors qu’elle devait être aux charbons. Un président de la République qui décide de refiler la patate chaude à son ministre de l’Intérieur. Quitte à le rendre responsable, à tort ou à raison, de la mort d’un jeune homme?
Catastrophe environnementale
Retour en arrière. En 2019, la mort d’une fillette native de la petite ville de Agareb par une infection bactérienne a été imputée à la toxicité engendrée par la déchèterie voisine de Guenna. En août 2020, ce dépotoir aux portes de la ville fut fermé par décision judiciaire.
Or, pour résoudre les problèmes sanitaires de la ville de Sfax qui croule depuis plus qu’un mois sous des tonnes de sachets poubelles et des détritus y compris hospitaliers et toxiques, le ministère de l’Environnement annonçait, dans un communiqué publié lundi 8 novembre 2021, la reprise d’activité de la décharge de Agareb au grand dam des riverains.
Le ministère précise que la reprise de la déchèterie s’accompagnera de certaines mesures. Et notamment le lancement dans l’immédiat des travaux de réhabilitation du site, l’extraction et le traitement des gaz, en doublant la fréquence de désodorisation et de traitement contre les insectes. Pourtant des affrontements avec les forces de l’ordre dans la nuit de lundi à mardi ont fait plusieurs blessés et un mort dans des circonstances douteuses.
Deux versions autour d’un décès
En effet, pour la famille d’Abderrazek Lachheb, le décès du défunt à la fleur de l’âge est dû à un impact direct d’une grenade de gaz lacrymogène sur la tête.
Cependant, le porte-parole du tribunal de Sfax a assuré, hier mardi après midi, que le résultat de l’autopsie pratiquée sur la dépouille de la victime par deux médecins légistes, n’a retrouvé aucune blessure ni trace de violence sur le corps.
Avec force détails, il a expliqué que son cœur a été obstrué complètement au niveau de l’artère coronaire gauche, avec nécrose du muscle cardiaque à gauche. Ce qui correspond « sans équivoque » à un infarctus massif qui aurait causé la mort.
Interrogé en direct dans la soirée du mardi sur le plateau du Rendez-vous 9 d’Ettassia TV, le porte-parole du Tribunal de Sfax évitait de toute évidence de répondre à la question de savoir si « l’infarctus massif » était provoqué par le gaz lacrymogène.
A savoir que cette version a été corroborée par le ministère de l’Intérieur. Lequel démentait, tard dans la soirée du mardi, le décès du jeune des suites de blessures lors « des événements ».
Selon la version du ministère, le jeune homme serait décédé après un « soudain malaise survenu à son domicile qui se situe à 6 km du lieu des manifestations ».
Mais comment, diable, le ministère de l’Intérieur a-t-il conclu que la victime est décédée suite à « un soudain malaise ». Alors que la dépouille de la victime n’a pas été sujette à une autopsie pratiquée par des médecins légistes dûment mandatés?
Grève Générale à Agareb
En attendant que la vérité éclate au grand jour, des forces de l’armée se sont déployées, hier mardi, dans la ville de Agareb, pour sécuriser les institutions gouvernementales. Et ce, suite au retrait des forces de l’ordre après que des manifestants en colère ont incendié un poste de la Garde nationale.
Pour sa part, la centrale syndicale (UGTT) annonçait, mardi, avoir décrété d’une grève générale pour le mercredi 10 novembre à Agareb. Et ce, sur fond d’affrontements entre les forces de sécurité et des manifestants, ayant causé la mort d’un jeune homme, selon les protestataires.
Disons pour clore ce triste épisode que le nouveau gouvernement de Najla Bouden a échoué à négocier son premier test grandeur nature. Car, d’une part, il tourne le dos à une décision judiciaire prise en faveur des habitants sinistrés de la ville de Agareb. D’autre part, il réprimande par la force les revendications légitimes d’une population paisible quant à son droit à un environnement sain. Du moins respirable.