Deux récents faits montrent bien que nos dirigeants n’ont sans doute pas encore assez compris le rôle et la fonction des médias dans une société démocratique.
« Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire ; le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau ». Qui ne se souvient de cette chanson immortalisée par « Les misérables » de l’écrivain français Victor Hugo. Chanson dont les paroles sont souvent utilisées pour accuser quelqu’un et lui rejeter la faute.
Il semblerait que le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, ait fait siennes, jeudi 9 décembre 2021, ces paroles du fameux personnage d’Hugo, Gavroche, en estimant que le décès d’un militant de son mouvement, qui s’est fait immoler par le feu, est le fruit de campagnes de presse à l’encontre de son parti !
En oubliant souvent que le président du Majless Chouraa, Abdelkrim Harouni, avait, en juillet 2021, fixé un ultimatum au 25 juillet 2021, en vue de verser des dédommagements, rubis sur l’ongle, aux militants du mouvement islamiste qui ont souffert du régime de Zine El Abidine Ben Ali.
Une action inédite
Tout le monde comprend très bien que les politiques aiment souvent chercher un bouc émissaire. Mais n’est-ce pas prendre les gens pour des amnésiques ? Certes, les peuples ont la mémoire courte. Mais n’est-ce pas un peu trop ?
Autre fait récent qui a permis de parler des médias : la conférence de presse donnée, le 8 décembre 2021, à la présidence de la République, par le chef de l’Etat et son invité, le président palestinien, Mahmoud Abbas. Une conférence de presse sans la présence de… la presse. Inédit.
Le président de l’Association des journalistes tunisiens (AJT), Mohamed Yassine Jelassi, a d’ailleurs critiqué cette absence. Soulignant que Kaïs Saïed « ne maîtrise que les monologues et les discours cryptés et joue le rôle d’un enseignant devant ses élèves ».
Walid Hajjem, conseiller auprès de la présidence de la République, est intervenu sur la chaîne télévisée Attessia TV. Afin de justifier cette pratique. Affirmant qu’il « s’agissait d’une question de choix et que la présence de journalistes devait résulter d’un accord au préalable entre les deux délégations ».
Comparaître devant le tribunal de l’opinion
Une réponse qui ne peut beaucoup convaincre : il suffit de regarder les télévisions du monde entier pour remarquer qu’une rencontre entre deux premiers dirigeants est toujours suivie d’une conférence de presse.
Ne pas se conformer à cette tradition ne peut de ce fait qu’étonner et susciter des polémiques. La communication fait partie de la pratique politique. Car, comme l’a si bien fait comprendre Mohamed Yassine Jelassi, « dialoguer, expliquer et s’adresser au peuple pour s’attaquer aux problèmes des citoyens » font partie intégrante du rituel politique.
Deux faits qui montrent bien que nos dirigeants n’ont sans doute pas encore assez compris le rôle et la fonction des médias dans une société démocratique. Les médias sont un partenaire, un passage obligé.
Déjà au XIXe siècle, Alexis de Tocqueville, homme de lettres et homme politique français, disait dans « De la démocratie en Amérique », tome I, 1835, que la presse « c’est elle dont l’œil toujours ouvert met sans cesse à nu les secrets ressorts de la politique, et force les hommes publics à venir tour à tour comparaître devant le tribunal de l’opinion ». Et que la presse « est, après le peuple, la première des puissances ».