Le président a finalement parlé. Bon, il a beaucoup parlé. Quarante minutes en tout dont une longue demi-heure pour nous rappeler encore une fois tous les malheurs endurés par ce peuple depuis « la contre-révolution » du 14 janvier. Mais seulement dix minutes pour nous exposer sa « feuille de route » résumée en sept points.
Le discours du président K.S. ne s’est donc pas contenté de mettre fin à cette « manipulation » de l’Histoire en décrétant jour férié « la vraie date de la révolution». Il a finalement daigné, près de cinq mois après le 25 juillet, de nous dire où il compte nous amener. Maintenant on sait que du 1er janvier au 20 mars, on aura droit à « une consultation populaire » en ligne et au niveau de chaque délégation.
Que le 25 juillet, nous donnerons notre avis, via referendum, sur « les nouvelles procédures constitutionnelles » proposées (il n’est pas clair s’il s’agira d’une nouvelle Constitution ou d’une réforme constitutionnelle).
Que le parlement restera gelé jusqu’aux prochaines élections législatives le 17 décembre 2022.
Que la justice (et ici le président insiste à dessein) doit assumer ses responsabilités en jugeant « tous ceux qui ont commis des crimes contre le pays ».
Et enfin, dans le cadre d’un règlement financier à l’amiable, tous ceux qui ont détourné « l’argent du peuple » le rendront sous forme d’investissements dans les gouvernorats. Avec cette précision assez cocasse : « le plus grand voleur prendra en charge le gouvernorat le plus démuni » (Sic).
Vaste programme et lourde responsabilité pour la Commission ou le Comité ou le groupe d’hommes et de femmes qui auront la tâche ingrate d’établir non seulement la liste des « voleurs de l’argent public » et « des gouvernorats éligibles à l’investissement », mais de le faire dans un ordre décroissant pour les premiers et croissant pour les seconds…
On attendait des mesures importantes pour le 17 décembre, le président les a annoncées quatre jours plus tôt. Il a de cette manière tiré le tapis sous les pieds de ses opposants qu’il a durement pris à partie dans la première demi-heure de son discours. C’est un peu comme si K.S. voulait rendre sans objet les manifestations que « les opposants à la dictature » sont en train d’organiser pour le 17 décembre et dont la principale revendication est la feuille de route.
Et de fait, Ennahdha & Co. auront bien du mal à trouver des slogans ou des justifications pour défiler le 17 décembre. Il en est de même de « nième groupement contre la dictature » que comptent annoncer ce 14 décembre dans une conférence de presse les Yadh Elloumi, Néjib Chebbi, Hassouna Nasfi et autres figures politiques qui se sont accommodés une décennie durant avec l’éradication des structures de l’Etat, la destruction de l’économie et la domestication de la justice…
Il faut noter aussi que cette feuille de route a été annoncée juste deux jours après « la déclaration commune » publiée par le les ambassadeurs du G7 et la représentation de l’UE à Tunis. Mais ce n’est peut-être qu’une coïncidence, car il y a tout lieu de croire que le président a décidé de la date et du contenu de son intervention avant que la dite « déclaration commune » ne soit rendue publique.
Cela dit, ce n’est pas parce que le président a annoncé sa feuille de route que le pays est sorti de l’ornière. En fait, le discours du président du 13 décembre pose plus de questions qu’il ne donne de réponses.
Tout d’abord, cette « consultation populaire en ligne et au niveau des gouvernorats ». Qui va consulter qui et sur quoi ? Tout le monde sait, même si le président feint de l’ignorer, que de Bizerte à Ben Guerdane, le principal souci du Tunisien, pour ne pas dire l’unique, est d’ordre économique. Ce qui intéresse le peuple tunisien, c’est la reprise de l’économie. C’est la maitrise des prix qui s’envolent. C’est le renversement de la tendance qui, depuis le 14 janvier 2011, ne fait qu’appauvrir année après année le pays et le citoyen. Or, ces considérations vitales sont absentes de la feuille de route présidentielle et des soucis du président.
Autres questions majeures : qui a l’autorité, la légitimité, les données et la compétence pour établir la liste des « voleurs » et le montant des sommes détournées ? Pour établir la liste de ceux qui ont commis « des crimes contre le pays » et déterminer la nature exacte de ces « crimes » ? Pour faire la synthèse de deux mois et 20 jours de « consultations populaires » et établir la liste des « désirs » du peuple ? Pour préparer le référendum du 25 juillet et les élections du 17 décembre.
Enfin, une question d’une grande importance se pose à partir du discours du président : pourquoi le président n’a-t-il pas remis son propre mandat en question et décidé une date pour l’élection présidentielle. D’autant qu’il a été élu sur la base de la Constitution de 2014 qu’il abhorre ?