Encore une année qui se termine dans la grisaille. Encore une année perdue, la onzième, sans que cela ne semble déranger ni ceux qui ont perdu le pouvoir le 25 juillet. Ni ceux qui, le même jour, se sont installés à la tête du pays, s’offrant les pleins pouvoirs. Les premiers
passent leur temps à ricaner à la manière de l’hyène qui a perdu sa proie. Les seconds, bien qu’ils tiennent le gouvernail, n’arrivent ni à stabiliser le navire-Tunisie, malmené par des flots de plus en plus furieux. Ni à rassurer les gouvernés, revenus à leur anxiété et leur
pessimisme habituels après la brève euphorie du 25 juillet.
L’indécence, l’impudence, l’obscénité même de ceux qui ont perdu le pouvoir ne semblent
pas avoir de limites. Comment penser autrement quand ceux qui ont détruit un pays et
appauvri son peuple ont encore le culot de s’afficher dans les manifestations et les médias
pour verser leurs larmes de crocodile sur « la démocratie perdue ».
Comment ne pas s’arracher les cheveux quand on voit le chef islamiste, l’homme le plus
honni et le plus détesté du pays, se présenter le plus naturellement du monde en défenseur
de « la liberté » et de « l’ordre constitutionnel », poussant l’outrecuidance jusqu’à citer
Aboulkacem Chebbi, le grand poète que les islamistes haïssent, détestent et abhorrent. C’est dire l’opportunisme, l’hypocrisie et la fourberie qui collent à la peau du vieux gourou et à la réputation en lambeaux de sa secte.
Comment ne pas être pris d’un haut-le-cœur quand on voit les gesticulations de cette pauvre vice-présidente du parlement gelé, celle-là même qui a mangé à tous les râteliers, du RCD à ‘Qalb Tounes’ en passant par tous les autres. Cette femme, aux qualités et principes douteux, ose encore parler devant les micros et les caméras pour dénoncer « le putsch contre l’Etat de droit ». Vu sa propension à changer d’allégeance, elle aurait été sans nul doute une défenseuse acharnée de l’après-25 juillet, si Kaïs Saïed lui avait offert un strapontin dans la nouvelle organisation des pouvoirs.
Gesticulations clownesques
Comment cacher sa répugnance face aux gesticulations clownesques de ces petits chefs de
ce qui est appelé « Citoyens contre le putsch » ? Ils n’ont pas levé le petit doigt pendant dix ans de mise en coupes réglées du pays, de colonisation islamiste de l’Etat, d’infiltration
toxique du ministère de l’Intérieur, d’assujettissement humiliant du corps judiciaire et
d’appauvrissement continu du corps social. Et voilà qu’ils vont jusqu’au sit-in pour exiger, contre la volonté de l’écrasante majorité du peuple, le retour à l’avant-25 juillet. Un sit-in
qu’ils n’ont pas pu tenir plus de 24 heures, avant de le lever et de se disperser, abattus, la
mine défaite et la mort dans l’âme.
Quand on se tourne du côté du pouvoir, le constat déprimant qui s’impose est que
l’euphorie du 25 juillet est un lointain souvenir. L’appréhension, l’anxiété, l’angoisse et le
désarroi sont les sentiments les plus répandus et les plus partagés par les Tunisiens. Chaque jour qui se lève, on scrute les divers horizons à la recherche de la moindre petite bonne nouvelle. En vain. Et les discours creux et coléreux du président ne font qu’assombrir encore plus l’humeur générale.
Sans doute le président nous a-t-il promis une consultation populaire en ligne, de nouvelles
règles constitutionnelles et électorales, et même des élections législatives d’ici un an. Mais
quand on voit sa propension à choisir des dates « historiques » pour les échéances
annoncées, on ne peut pas ne pas faire le constat déprimant que le président ne s’intéresse
qu’aux symboles. La situation économique catastrophique et la réalité politique kafkaïenne
sont les derniers de ses soucis. C’est à se demander si le président n’est pas à côté de la
plaque ? Entièrement déconnecté de la triste réalité du pays ?
Une seule petite lueur d’espoir
En attendant le miracle, du moins pour ceux qui y croient, nous continuons à vivre comme
on le faisait avant le 25 juillet. C’est-à-dire comme s’il n’y avait jamais eu d’assassinats politiques. Ni d’envois de milliers de jeunes combattre dans les rangs des organisations terroristes. Ni de noyautage du ministère de l’Intérieur et d’assujettissement de la Justice. Ni d’attentats terroristes dévastateurs pour le pays et son économie. Ni de collusion entre le terrorisme et la corruption d’une part et les deux juges les plus hauts placés dans la hiérarchie judiciaire d’autre part. Nous n’avons même pas eu droit à la fermeture de « l’école de Qaradhaoui », cette pépinière du terrorisme au cœur de la capitale !!!
Cinq mois après que nous avons naïvement cru que tous ces dossiers allaient être déférés
devant la Justice, le peuple tunisien, encore une fois, se trouve dans le rôle de dindon de la
farce dans la grisaille. Il ne peut se fier ni à une classe politique qui, pendant dix ans, a fait
largement la preuve de son incompétence et de son immoralité. Ni à une Justice qui, jusqu’à ce jour, ne se décide pas à prendre le taureau par les cornes. C’est-à-dire à se pencher sur les grands dossiers du terrorisme, de la corruption et des crimes commis contre le pays, son Etat et son peuple.
La seule petite lueur d’espoir nous vient de Abir Moussi et de son parti qui, eux, ont fait
largement la preuve de leur patriotisme et de leur détermination à sauver le pays. Ils
continuent de percer lentement mais sûrement, en dépit de la haine injustifiée et des
obstacles érigés sur leur chemin par le président, ses partisans et ses opposants.