Les importations d’habillement de l’UE (51,9 milliards d’euros) n’ont progressé que de 0,7 % au cours des neuf premiers mois de 2021 par rapport à la même période de 2020, reflet de l’atonie de la consommation vestimentaire européenne tendanciellement en baisse relative dans le budget des ménages depuis plusieurs années et bien sûr plombée par l’épidémie persistante de Covid-19.
Plus inquiétant encore, les importations sont en recul de 9 milliards d’euros par rapport à leur niveau à fin septembre 2020 !
Certes, les échanges intra-communautaires sont en forte hausse (+15 % à 57,8 milliards d’euros) mais ce chiffre est à prendre avec beaucoup de prudence car les importations intra-communautaires intègrent pour une large part des réexportations de vêtements d’origine extra-UE.
Les prix moyens (calculés au poids) sont en baisse de 3,8 % par rapport à septembre 2020. Cette évolution est cohérente avec le fait que les consommateurs européens consacrent une part de plus en plus faible de leurs budgets aux dépenses vestimentaires. Mais elle est paradoxale alors que le coût des matières et des transports maritimes est en forte augmentation.
A ce stade, les deux seules explications combinées plausibles sont que le marché atone ne peut pas absorber les hausses des coûts (ce qui impacte négativement les marges à tous les niveaux de la chaîne et tout particulièrement les sous-traitants car il faut bien que quelqu’un paye) et que les consommateurs ne privilégient pas encore les achats de vêtements plus durables, de meilleure qualité et donc plus chers, contrairement à une idée avancée ces derniers temps. En bref, les consommateurs européens continuent à acheter du bas/moyen de gamme.
Les producteurs méditerranéens ont le vent en poupe !
Ils entrent maintenant pour 20 % dans les importations européennes d’habillement contre 17,5 % il y a deux ans. Cette évolution semble confirmer que pour des raisons écologiques (préférence donnée aux fournisseurs de proximité pour éviter les longs trajets maritimes à forte empreinte carbone) et marketing (développement exponentiel de l’E-commerce aux impératifs accrus de réactivité et de flexibilité), le marché s’oriente résolument vers le circuit court.
Le classement des principaux fournisseurs d’habillement de l’Union européenne subit peu de variations d’une année à l’autre. Du côté de l’Asie, la Chine et le Bangladesh demeurent les fournisseurs dominants de l’Europe, suivis d’assez loin par l’Inde, le Vietnam et le Pakistan. En raison de considérations politiques et/ou de leur situation intérieure, le Cambodge et le Myanmar sont en fort recul et devraient continuer à perdre des parts du marché européen au cours des prochains mois.
« Le classement des principaux fournisseurs d’habillement de l’Union européenne subit peu de variations d’une année à l’autre »
Du côté des fournisseurs méditerranéens, c’est l’embellie : 3ème fournisseur de l’UE, la Turquie progresse de 13,8 % grâce principalement à la très forte dépréciation de la livre turque et malgré l’alourdissement de ses coûts de production (énergie et salaires, notamment).
Le Maroc fait mieux que se défendre avec +23 % de ses exportations. Il est cependant encore à 200 millions d’euros en dessous de ses exportations à fin septembre 2019.
Malgré ses problèmes économiques et politiques intérieurs rémanents, la Tunisie résiste bien et progresse même de 8,6 %.
On notera enfin l’effondrement des exportations de la Grande-Bretagne (-58 %) ! Il est manifeste que ce pays réexportait vers ses partenaires européens de grosses quantités de vêtements asiatiques lorsqu’il était membre de l’UE, ce qu’il peut difficilement faire maintenant.
L’analyse des statistiques européennes suggère qu’il y a un déplacement du flux des importations européennes d’habillement de l’Asie vers la Méditerranée. Est-ce un phénomène durable ?
Pas sûr car s’il est vrai que les consommateurs européens veulent de plus en plus recevoir une offre « customisée », ce qui nécessite des producteurs agiles et hyper réactifs, il n’en demeure pas moins que le facteur numéro un de leurs achats est le prix, critère pour lequel les Asiatiques sont encore imbattables : les salaires y sont très bas, le respect des normes sociales et environnementales est souvent inexistant.
Il convient d’enjamber l’année 2020 comme année de référence et de prendre 2019 pour les comparaisons. Sur cette base, on observe que :
- Parmi les fournisseurs asiatiques, la Chine, le Bangladesh, le Vietnam et le Pakistan gagnent des parts du marché européen alors que l’Inde, le Cambodge et le Myanmar en perdent. On notera que l’Inde ne bénéficie d’aucun avantage douanier à l’entrée dans l’UE, que le Cambodge a perdu partiellement son accès au régime préférentiel « Tout Sauf Les Armes » pour non-respect des droits de l’homme et que le Myanmar, plongé dans une dramatique et intolérable crise intérieure, va certainement perdre prochainement son accès privilégié aux marchés européens.
- Les pays méditerranéens gagnent des parts de marché : la Turquie renforce sa position de 3ème fournisseur de l’UE grâce à la dépréciation de sa monnaie face à l’euro et au dollar… et à son accord superprivilégié d’union douanière avec l’UE. On notera cependant que des voix de plus en plus nombreuses dans les Etats membres de l’UE et au Parlement européen s’élèvent pour dénoncer le régime anti-démocratique turc et demander la remise en cause de cet accord d’union douanière. Le Maroc et la Tunisie gagnent chacun 0,2 point, fruit des efforts de compétitivité de ces deux grands fournisseurs de proximité qui demeurent néanmoins des partenaires fragiles et discriminés par l’UE vis-à-vis de la Turquie et des grands fournisseurs asiatiques tels que le Bangladesh, le Pakistan, le Sri Lanka ou des pays africains qui, comme Madagascar, bénéficient de régimes douaniers préférentiels.
- Malgré leurs liens tarifaires privilégiés avec l’Union européenne, les pays d’Afrique restent des fournisseurs marginaux, voire insignifiants : présentée comme le futur « Atelier du Monde », l’Ethiopie, actuellement dévastée par la guerre et les pillages, reste « scotchée » à la 42ème place comme fournisseur de l’UE ; quant à Madagascar, il végète au 22ème rang, englué dans des problèmes socio-politiques et économiques endémiques.
Par Jean-François Limantour, Président d’Evalliance