Comment expliquer la crise entre la Russie, l’Ukraine et l’Otan? Autant décortiquer ce qui se passe et comprendre le monde géopolitique avec Kerim Bouzouita, docteur en anthropologie.
Kerim Bouzouita revient sur les tensions entre la Russie, l’Ukraine et l’OTAN. Pour commencer, il faut comprendre les bases des récits politico-historiques qui sont répartis sur trois volets.
L’analyse de Kerim Bouzouita : 2e et 3e volets
Pour comprendre l’origine d’un conflit armé d’envergure régionale, il nous faut remonter aux origines des tensions. C’est en 1945, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que le monde a été divisé entre les grandes puissances. A gauche de la carte: l’empire atlantiste capitaliste et libéral sous le leadership américain. Cet empire était essentiellement composé de pays, plus ou moins démocratiques, sous influence américaine et unis sous la bannière de l’OTAN.
A droite de la carte: l’Union soviétique communiste. Cet empire était essentiellement composé de pays puissants hérités de l’Empire de Russie. La frontière entre les empires était l’Allemagne, divisée en RFA à l’ouest et RDA à l’est. Très naturellement, ces deux puissances idéologiquement opposées entrèrent dans une forme de compétition politique et industrielle poussée; l’histoire retiendra cette compétition sous le nom de “guerre froide”.
Mais les raisons les plus importantes se trouvent au niveau des équilibres géopolitiques. La corruption et l’accaparement du pouvoir et des privilèges par les apparatchiks ont fini par avoir raison du modèle communiste, sans compter qu’une économie fermée et entièrement contrôlée par l’Etat ne pouvait pas faire le poids face à des économies de plus en plus mondialisées.
Sous l’impulsion de Gorbatchev, président de l’URSS, celle-ci entame deux plans de réformes majeures: la perestroïka et la glasnost; en gros, le libéralisme et l’ouverture.
Les relations entre l’URSS et les USA
Dans cette logique, les relations entre l’URSS et les USA commencent à se réchauffer; le mur idéologique était en train de s’effondrer et l’URSS allait tôt ou tard entrer dans le giron américain.
Le premier acte de bonne volonté de Gorbatchev
Le premier acte de bonne volonté de Gorbatchev fut de ne pas s’opposer à la réunification de l’Allemagne, moyennant la promesse américaine de ne jamais élargir le périmètre de l’OTAN. Au grand malheur de Gorbatchev, à peine un an plus tard, les présidents des trois grands pays de l’URSS décident de se débarrasser d’elle, et pour ce faire, ils dissolvent tout bonnement l’URSS en 1991.
En 1997, à peine 6 ans après la dissolution de l’URSS, les USA, sous l’impulsion de la doctrine offensive de Scooter Libby, démarrent leur stratégie du “containment”, c’est-à-dire d’étouffement de la Russie en l’encerclant par des Etats croupions sous la bannière de l’OTAN. Ainsi, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque intègrent l’OTAN malgré de vives protestations de la Russie.
Et cet élargissement des frontières de l’OTAN s’est progressivement rapproché des frontières russes, notamment par l’intégration des trois républiques baltes frontalières de la Russie. Cette stratégie d’étouffement était hasardeuse, pour la simple raison que la Russie n’était plus un adversaire idéologique, bien au contraire, elle souhaitait adhérer à l’OTAN et à l’Union européenne.
Les intérêts russes
Ses demandes sont restées lettre morte, l’OTAN comme l’UE considéraient l’ancienne puissance russe comme un pays du tiers-monde qu’on pouvait marginaliser. Mais cette politique hostile aux intérêts russes prendra une tout autre dimension en 2014. D’abord par l’organisation du coup d’Etat (ou d’une révolution, selon le point de vue) d’Euromaiden qui a déposé le président ukrainien Ilouchenko, élu démocratiquement et favorable à un accord d’association avec l’Union eurasiatique et la Chine au lieu d’intégrer l’UE.
Depuis, un pouvoir sous influence atlantiste fut mis en place. Le problème pour la Russie, c’est que son gazoduc passait par les territoires ukrainiens, avec 15% du PIB russe et la moitié des devises étrangères, fruit du commerce du gaz; en 2014, l’Ukraine devenait un cadenas à gaz sous influence américaine.
Ajoutons à cela la tentative de destruction de la Syrie et de remplacement du régime alaouite de Bachar al Assad par un régime sunnite favorable à la politique américaine. Rappelons que la Syrie est un bon client de la Russie et avec la chute du régime syrien, elle aurait perdu sa précieuse base d’appui et de ravitaillement militaire de Tartous. C’est l’unique base russe en Méditerranée; sans elle, la marine russe aurait été sous pression turque dans la mer Noire.
L’Empire russe et l’Empire ottoman
Et pour finir, n’oublions pas que la Turquie est membre de l’OTAN et représente un adversaire historique de la Russie. L’Empire russe et l’Empire ottoman se sont affrontés durant 350 ans dans 14 guerres. Et c’est bien le Tsar Nicolas qui a été à l’origine de l’effondrement de l’Empire ottoman en le mettant sous tutelle. En somme, la politique étrangère américaine et l’interventionnisme belliqueux de l’OTAN ont poussé la Russie vers des alliances stratégiques à l’Est, avec notamment la Chine. L’invasion de l’Ukraine est le premier acte de la fin d’un monde unilatéral où l’empire atlantiste était le seul à redessiner les frontières du monde en fonction de ses intérêts.