La crise ukrainienne a révélé encore une fois des ressources insoupçonnées, chez le peuple tunisien, quant à sa capacité de surprendre.
Alors que les stratèges américains et occidentaux ont fini par croire, que le peuple tunisien qui aurait selon eux, « chassé » un « dictateur » nommé Zine Al Abidine Ben Ali, ce qu’il lui a valu les applaudissements et le « soutien » du monde dit libre, lui accréditant le mérite d’avoir établi, la première démocratie dans la sphère arabo-musulmane, et d’avoir enclenché le printemps arabe, qui s’est révélé une farce sanglante, soit dit en passant. Voilà que dans sa grande majorité, et hormis quelques cercles liés intimement aux réseaux d’ambassades occidentales, non seulement il applaudit l’occupation de l’Ukraine par la Russie, mais il rehausse Poutine au rang d’éminent défenseur des causes justes et de grand vainqueur des « impérialistes » américains et autres occidentaux « néocolonialistes ».
C’est Saladin qui conquit Jérusalem et battit les Croisés. C’est Mehmet II (1453 jc) qui prit possession de Constantinople. Et c’est aussi Jamel Abdelnacer qui gagna la bataille de Suez (mais perdit la guerre de 67 contre Israël). Et Saddam Hussein qui défia l’Occident entier, pour finir dans un trou et au bout d’une corde.
Sauf que Poutine n’est ni arabe, ni musulman. Mais il a gagné la guerre en Syrie, fomentée d’ailleurs par les mêmes puissances occidentales. En battant et éradiquant Daech et ses terroristes soutenus, armés et financés par ces mêmes puissances qui nous ont exporté leur modèle démocratique.
Poutine est désormais, en terre arabe, l’idole des jeunes et des vieux, des riches et des pauvres, des nationalistes et des démocrates, des femmes et des hommes, des fellahs et de la bourgeoisie citadine. De ceux qui fréquentent les boites et les bars, et de ceux qui fréquentent les mosquées.
« La crise ukrainienne a révélé encore une fois des ressources insoupçonnées chez le peuple tunisien, quant à sa capacité de surprendre »
Tout cela sans qu’aucun média russe, ou pro-russe, n’ait eu le moindre impact sur eux, puisqu’ils sont quasiment absents dans ces contrées. Ces mêmes populations qui suivent les événements en Ukraine, pour s’informer, par le biais des médias occidentaux, américains, français, allemands, qui délivrent d’ailleurs une propagande anti-russe, insipide et d’un autre âge, frisant le ridicule, (surtout les médias français) sont de plus en plus favorables à l’occupation russe de l’Ukraine.
Pourtant les Tunisiens n’ont que de la sympathie pour ces Ukrainiens qu’ils connaissent très bien. Pour avoir en effet envoyé des milliers de leurs enfants faire leurs études à Kiev ou dans d’autres villes. Et pour les avoir fréquentés comme touristes, sur les plages de Djerba ou de Sousse.
Tout se passe comme si Poutine a remplacé Saddam dans l’inconscient collectif des Tunisiens. Ces derniers ayant toujours besoin de héros pour continuer à vivre. Tels Hannibal, Jugurtha, Saladin, ou même Bourguiba.
C’est aussi parce qu’ils ont accumulé des humiliations successives, depuis la guerre de 67, puis la chute de Baghdad. Et enfin le « Printemps » arabe auquel ils ont cru un moment, avant de découvrir la cruelle vérité.
Ils croient tous désormais que c’était une « ruse » de l’Occident. Et ce, pour détruire les pays arabes au profit du seul gagnant de ce printemps: l’État d’Israël.
Quoi de plus normal alors qu’ils soutiennent Poutine. D’autant plus que la Russie sous sa forme soviétique et même après avait toujours soutenu les causes arabes (et non musulmanes).
Un démocratisme de pacotille
Face à cette vague de Poutinomania, se dressent quelques supposés démocrates, mais sans trop élever la voix. C’est que la vague poutiniste est trop puissante pour que l’on se dresse contre elle. Même les islamistes, de Rached Ghannouchi, font profil bas, très bas.
D’ailleurs son parti Ennahdha s’est contenté de faire de la surenchère visant le gouvernement. En critiquant la lenteur de sa réaction quant au rapatriement des citoyens tunisiens en Ukraine. N’osant pas affronter la puissante vague pro-Poutine dans l’opinion alors qu’ils doivent voler au secours de leurs amis occidentaux. En se positionnant, grands défenseurs de la démocratie et des droits de l’Homme en Ukraine, au moment où ils ont besoin de cette opinion, face à ce qu’ils considèrent comme un autre dictateur, Kaïs Saïed. Ils ont donc gardé un silence absolu. Seul un représentant de l’extrême gauche a osé soutenir le gouvernement ukrainien contre les Russes.
Pour les autres acteurs politiques c’est silence radio y compris ceux du gouvernement et de la Présidence. Mais sur les réseaux sociaux, beaucoup osent critiquer l’attaque russe en se prévalant de la souveraineté de l’Ukraine. Tout en reprenant les discours des médias français, surtout contre Poutine. Mais aucune formation politique n’a osé appeler à une manifestation de soutien au peuple ukrainien.
« Face à cette vague de Poutinomania, se dressent quelques supposés démocrates, mais sans trop élever la voix »
Du côté officiel, un laconique communiqué du MAE appelle les deux parties à la raison et au dialogue. Sauf que l’actuel ministre des Affaires étrangères a signifié à l’ambassadeur ukrainien que la Tunisie dénonce l’occupation russe.
Ce que ce dernier s’est empressé de twitter, au grand dam de la Présidence. Ce qui explique par ailleurs le communiqué laconique qui commence par un paragraphe qui évoque la neutralité légendaire de la Tunisie qui ne veut s’aligner sur aucun axe (sic!!!).
Mais ce qui est encore plus rigolo, c’est qu’on voit un tas de facebookeurs qui ont passé une dizaine d’année à traiter Ben Ali de dictateur, glorifier Poutine, Bachar al Asad, Saddam Husein, Kaddhafi, et soutenir sans réserve l’occupation de l’Ukraine par la Russie.
C’est le paradoxe tunisien! Démocrates en Tunisie, pro dictateurs au delà du Mont Chaambi. Ce côté versatile est inhérent, semble-t-il à l’identité du Tunisien moyen.
« Mais ce qui est encore plus rigolo, c’est qu’on voit un tas de facebookeurs qui ont passé une dizaine d’année à traiter Ben Ali de dictateur […] soutenir sans réserve l’occupation de l’Ukraine par la Russie »
Côté Présidence, on garde aussi le silence. L’on sent qu’on évolue en terrain piégé. Et que la meilleure façon de s’en sortir est de faire le mort. Pourtant la Tunisie est un allié stratégique de l’Occident, sans être membre de l’OTAN. Sauf qu’au dernier rassemblement des démocraties chez Biden l’américain, elle n’a pas été invitée. Et pendant des mois, les communiqués et les déclarations de la Maison Blanche mettant en garde KS, contre une dérive autoritaire, ont bombardé les médias. Et ils ont donné aux islamistes, surtout à Rached Ghannouchi, un espoir de retour aux affaires; avant que Poutine ne vienne tout chambouler.
Les islamistes ont même peur que cette période où leurs protecteurs occidentaux sont occupés par l’Ukraine, ne soit propice à une offensive de leurs plus farouches adversaires et particulièrement KS.
Alors ils gardent un profil encore plus bas que d’habitude. Même le Qatar et la Turquie semblent leur tourner le dos. Ajouté à cela les dissensions internes qui vont jusqu’à la tentative de leurs jeunes loups de créer une autre formation, plantant Ghannouchi au pilori.
Reste que personne ne peut pronostiquer les conséquences de ce tremblement de terre en Europe sur la Tunisie.
Pour le moment le Ministère du Commerce et du Développement assure que le pays a suffisamment de réserves de blé qui nous vient en grande partie d’Ukraine, jusqu’au mois de juin. Car il ne faut surtout pas toucher au pain quotidien des citoyens; déjà qu’il y a une sévère pénurie de farine. Sinon on sait que tout peut alors arriver.