Il aura suffi que l’État ait le dos au mur, qu’il soit dans l’incapacité de servir à temps les émoluments de ses fonctionnaires pour que le pays prenne conscience de la gravité de la situation.
Panique à bord, dès lors que l’État se retrouve à court de liquidités, sans possibilité de recours à des subterfuges ou à de quelconques stratagèmes pour évacuer le présent, quitte à compromettre l’avenir en s’enfonçant davantage dans la crise. L’État est virtuellement en défaut, tout près de l’asphyxie financière, sans autre moyen de riposte que de s’en remettre à la thérapie du FMI qu’il ne récuse plus, après qu’il s’en est toujours méfié en avançant à reculons.
Nécessité fait loi. La voie du salut passe via un accord avec le FMI qui détient pour l’heure les cordons de la bourse, tout en nous réconciliant avec les bailleurs de fonds et les marchés financiers. Sauf qu’un accord de ce genre n’est jamais sans prix ni coût social. L’État est pris entre deux feux. Qu’il recule, comme il l’a toujours fait, ou qu’il avance, il n’est jamais à l’abri de troubles, voire d’embrasements sociaux.
« L’État est virtuellement en défaut, tout près de l’asphyxie financière, sans autre moyen de riposte que de s’en remettre à la thérapie du FMI… »
A cette nuance près – et elle est de taille – que l’audace l’emporte toujours sur l’immobilisme. Qui ose vaincra à plus ou moins longue échéance. Ne rien entreprendre n’offre aucune perspective, sinon l’assurance du déclin. Agir ou périr : la question est de savoir comment faire bouger les lignes.
Face à l’inévitable, le gouvernement Bouden semble se résigner à s’imposer un régime minceur. Dans le viseur : la prolifique masse salariale de la Fonction publique qui crève tous les plafonds à plus de 16% du PIB. Mais pas que cela. Les dépenses de subventions explosent et ne sont pas loin de dépasser les dépenses d’équipement. Et pour couronner le tout : les déficits sans fin des entreprises publiques culminent à des niveaux astronomiques.
La fiscalité n’est pas en reste : elle s’invite dans le débat. L’État met le turbo fiscal en ponctionnant davantage les plus vertueux, au risque d’aggraver la chute de la demande de consommation et d’investissement.
Il faut se garder des solutions toutes faites, faciles d’apparence, mais qui sont, au fond, d’une grande complexité. Ainsi en est-il des dépenses de compensation qui, répète-t-on à satiété, doivent bénéficier aux personnes sans ressources, à faibles et à moyens revenus. Soit. Mais qui ne se reconnaît pas aujourd’hui dans ce large spectre, en dehors d’une infime frange de moins de 1% de la population ? Il est des raccourcis qui ne sont pas sans danger.
« L’État met le turbo fiscal en ponctionnant davantage les plus vertueux, au risque d’aggraver la chute de la demande de consommation et d’investissement »
L’idée même d’un ciblage est de ceux-là. Retrouver la vérité des prix – fût-ce progressivement – moyennant un chèque sous forme de crédit-impôt aux familles nécessiteuses ne résoudrait pas le problème. Il y a fort à penser que l’argent sera aussitôt dépensé ailleurs. Ce qui aurait pour effet de relancer et de durcir les protestations contre la cherté de la vie. La question est moins d’essence arithmétique que d’ordre traditionnel, voire civilisationnel. La Tunisie se prête mal à un régime spartiate, tant s’en faut.
Contraindre les ménages, déjà largement éprouvés par le coût de la vie, à l’austérité est un exercice périlleux au plan tant humain qu’économique. Chez nous, sans doute plus qu’ailleurs, capitalisme rime avec justice sociale. L’UGTT veille au grain et s’arroge le droit de le rappeler au moindre signe de dérive des continents. Moralité : il faut faire preuve de beaucoup de discernement pour éviter que les réformes voulues ou imposées ne dégénèrent en conflits ouverts ou larvés.
Sans vouloir pousser au loin le principe de précaution, il faut se méfier de certaines illusions d’optique. Le poids préjudiciable des salaires publics qui obère le budget de l’État est de celles-là.
Derrière les chiffres, il y a une réalité humaine et économique beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Oui, il faut dégraisser le mammouth. Oui, il faut lutter contre l’obésité de l’État.
Problème : il ne faut pas se tromper de remède. L’État ne doit pas donner à penser qu’il remet en cause l’avancée concernant la retraite à 62 ans. Ni qu’il autorise le maintien en service de celles et ceux qui veulent aller jusqu’au bout sans le moindre apport à la collectivité. Il faut laisser le temps au temps : l’allègement doit se faire progressivement.
Les départs à la retraite seraient partiellement compensés par de nouveaux recrutements. C’est beaucoup moins coûteux pour la collectivité, sans que cela compromette l’efficacité de l’État.
« Moralité : il faut faire preuve de beaucoup de discernement pour éviter que les réformes voulues ou imposées ne dégénèrent en conflits ouverts ou larvés »
Aux grands maux, les vrais remèdes. Cela vaut aussi et surtout pour les entreprises publiques qu’il faut réorganiser, restructurer et transformer. La question doit être tranchée au plus vite entre celles qui doivent être rétrocédées au secteur privé et celles qui doivent être maintenues dans le giron de l’État. Pour mettre fin à une sorte d’hérésie et d’anachronisme économique et social. Et nous réconcilier avec les principes de rationalité.
Les entreprises publiques, comme les salaires ou la compensation relèvent, en dépit de leur particularité, d’une même thérapie.
Il faut remonter aux distorsions à l’origine du mal. On ne peut faire tomber la fièvre, éteindre les feux des dérapages monétaires et financiers sans soigner la maladie. Et la prévenir.
D’où vient le mal, si ce n’est de notre incapacité à retrouver les chemins vertueux d’une croissance saine, forte, durable et inclusive ? C’est là le fond du problème. Le pays a perdu le goût et le sens de la croissance. Le PIB n’a pas bougé. Pire, il a même régressé, passant de 40 milliards de dollars en 2010 à 35 milliards en 2020.
Dans l’intervalle, les salaires et les dépenses de consommation ont explosé, financés qu’ils étaient par un recours massif à l’endettement. Certes, les dérives des salaires, des subventions, des déficits et de l’endettement ont réduit la voilure. Mais il y a pire.
L’absence d’autorité de l’État, de leadership, de vision, le déficit de confiance, la corruption, l’indiscipline au travail, l’outrance syndicale, le sentiment d’impunité, la chute de la productivité, l’immobilisme, l’inconsistance des hommes politiques, obnubilés par la seule conquête du pouvoir, nous ont conduits là où nous sommes. En inhibant toutes nos velléités créatrices et en brisant les principaux ressorts de l’investissement et de la croissance.
Question : à quoi bon retrouver grâce aux yeux du FMI et regagner la confiance des marchés financiers, si c’est pour retomber aussitôt après dans les mêmes travers ?