Kaïs Saïed semble déterminé à mener « une guerre totale et sans merci » contre ceux qui cherchent « à affamer délibérément le peuple et menacer la paix sociale ». Cependant en a-t-il les moyens? D’autant plus que les Tunisiens s’attendent à des actions concrètes qui impactent leur quotidien, ô combien difficile.
De toute évidence, le Président de la République, Kaïs Saïed tenait à frapper les esprits en choisissant minutieusement le lieu et l’heure. Ainsi, il s’est rendu mardi dernier au siège du ministère de l’Intérieur à une heure tardive de la nuit. Et ce, pour annoncer qu’il était temps de siffler la fin de la recréation. Tout en livrant un message clair: l’heure zéro est fixée pour se livrer à « une guerre totale et sans merci » contre les spéculateurs et les monopoles qui frappent l’approvisionnement en produits de base. Et ceux qui cherchent « à affamer délibérément le peuple et menacer la paix sociale ». Mais toujours dans le cadre de la loi, tenait-il à rappeler.
Un discours rassurant de Kaïs Saïed
« Je veux rassurer mes compatriotes. L’Etat est debout. Il y a des hommes et des femmes qui sont là pour assurer votre sécurité ainsi que la sécurité alimentaire. Afin de réunir toutes les conditions requises pour une vie décente, sous le parapluie d’un Etat juste et équitable ». Ainsi affirmait-il, en annonçant la mise en place d’un décret-loi spécifique aux circuits de distribution.
Qualifiant la situation en Tunisie « d’anormale et la spéculation de préméditée », le président assure que les produits de base sont « stockés ». Estimant que « ce phénomène est amplifié; le but étant de semer la panique ».
A qui la responsabilité?
Mais qui sont les responsables de cette situation « que la Tunisie n’a jamais connue, même dans les années 60 », rappelle Kaïs Saïed?
Ce sont donc: les barons de la spéculation; la mafia des marchés parallèles; les passeurs clandestins qui acheminent les produits subventionnés vers le marché libyen; les grands groupes de la distribution; ou les partis politiques qui cherchent délibérément à faire pourrir la situation pour affaiblir le Président? Suivez mon regard!
D’ailleurs, sur la responsabilité des uns et des autres, le chef de l’Etat n’est point dupe.
Certes, il est conscient que la guerre en Ukraine a incontestablement un impact majeur sur les prix du pétrole et des céréales. Mais, « ne nous trompons pas pour autant de cible », déclare-t-il. Car assure-t-il, « de telles spéculations n’ont pas eu lieu en décembre 2010 et durant les mois suivants. Nous n’avons pas observé cela après le 14 janvier 2011. Ceci signifie qu’il s’agit d’un acte humain ».
L’allusion à ceux qui cherchent à saboter l’action présidentielle est claire. Entendez les mouvances islamistes et ses bras financiers. Le responsable est désigné, mais comme à l’accoutumée, jamais cité expressément.
« Nous allons entamer, par la grâce du Seigneur, la guerre contre ceux qui cherchent à affamer les Tunisiens et à abuser d’eux… Ceux qui cherchent à porter atteinte à la société de l’intérieur. Ils sont habitués à utiliser de telles méthodes. Néanmoins, nous allons, en usant de la loi et du pouvoir de la loi, barrer la route aux spéculateurs et aux criminels qui ne se sentent pas concernés par la vie des citoyens! ». Ainsi, martelait Kaïs Saïed. Or, ceux qui ont l’habitude de décortiquer le discours présidentiel savent qu’en utilisant les « ils », il désigne précisément le mouvement Ennahdha et ses acolytes.
Plus de paroles mais des actes
Certes, c’est le ministère du Commerce qui est directement responsable de la régulation dans l’approvisionnement. Et il a manifestement failli dans sa mission, d’où le recours au ministère de l’Intérieur. Certes il est temps que le Président se penche, enfin, sur la réforme du système de subvention. Et notamment sur celle du secteur agricole dans son ensemble. Certes, la réponse uniquement sécuritaire et répressive n’est pas suffisante, mais il y a péril en la demeure.
En effet, le locataire du palais de Carthage a entre les mains les dossiers et les adresses. Les Tunisiens attendent des actions fortes, concrètes et de grande envergure contre « ceux » qui « cherchent à affamer le peuple », dixit Kaïs Saïed. Alors qu’attend-il pour frapper là où cela fait mal. Tout de suite?