A minuit pile, ce 20 mars 2022, alors que le peuple « qui veut » sombre dans un sommeil profond, et que des pluies diluviennes arrosaient une grande partie du territoire. Après une journée ordinaire, d’habitude consacrée à la grande fête de l’Indépendance, sous la première République. Puisque célébrant la signature de la fin du protectorat français; mais journée particulièrement morose cette année. Le Président de la République, Kaïs Saïed apparut sur les écrans de la chaîne publique pour nous gratifier d’un discours (écrit cette fois-ci), qui restera dans les annales de la Tunisie post-indépendance.
Le décor est bien planté, puisque à l’arrière scène et sur les côtés, l’on se croirait dans le palais d’un des beys huseynites. Comme le démontrent les trois peintures illustrant les fondateurs et le dernier Bey de la dynastie huseynite. Alors qu’on s’attendait à voire le portrait de Habib Bourguiba, père de l’Indépendance! Le pays ne célèbre t-il pas en ce 20 mars l’Indépendance du pays? Une erreur du metteur en scène ou un geste révélateur?
Il faut dire que les réseaux sociaux tunisiens se sont emballés toute la journée. Critiquant les autorités pour l’absence de tous les signes de fête. A savoir: les drapeaux dans les rues et les artères des grandes villes; les manifestations; et les discours célébrant la longue lutte pour l’indépendance et les martyrs tombés sous les balles de l’occupant français. Ces critiques pour une telle « négligence » pointaient du doigt la plus haute autorité de l’État (et actuellement la seule). En l’accusant de renier l’Histoire du pays, le Président de la République en personne!
Est-ce pour cela que KS, a voulu se rattraper, en prononçant un discours à minuit? Connaissant sa grande susceptibilité, à l’endroit de ces médias rebelles, l’on pourrait être tenté de le croire. Mais ce discours n’a fait que jeter de l’huile sur le feu!
Une lecture révisionniste de l’Histoire en ce 20 mars
Kaïs, Saïed, professeur universitaire, aurait prononcé ce discours critique de l’histoire du mouvement national et de l’État de l’indépendance, il aurait été dans son droit le plus absolu! Même qu’on aurait pris cette attitude pour une vision plus équilibrée de l’histoire nationale!
Mais Kaïs Saïed, Président de la République, a le devoir de prononcer un discours qui sied à un Président. Ce qui signifie un discours qui glorifie l’épopée de la lutte pour l’Indépendance, ceux qui l’ont dirigée, ceux qui sont tombés en martyrs, ceux qui ont connu les affres des geôles de l’occupant. Et enfin, ceux qui ont tout sacrifié pour que vive la Tunisie, libre et indépendante pour toute l’éternité.
Or, en évitant de rendre hommage ce 20 mars aux grands leaders, et particulièrement le grand Habib Bourguiba, il a failli à son devoir de chef de l’État et de Président de la République. C’est une atteinte grave à la mémoire nationale et sans mémoire nationale, il n’y a point de Nation. Tout laisse penser que KS couve une autre vision de l’histoire de la Tunisie, qu’il a essayé d’esquisser dans son discours, sans pour autant l’expliciter. Vision qui tend, non pas à revisiter l’histoire, mais à la réviser en fonction de ses objectifs idéologiques et politiques.
Rappelons que le mot « révisionnisme » a été utilisé par les communistes chinois contre les communistes russes. De même qu’il était employé par les intellectuels occidentaux pour qualifier le discours de l’extrême droite européenne quant à l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentrations nazis. Et qu’une loi en France sanctionne ceux qui « révisent » l’histoire » de la seconde guerre.
Pour la majorité des Tunisiens, réviser l’histoire nationale en occultant le rôle de ceux qui ont joué un rôle prépondérant, s’assimile à une atteinte à leur mémoire collective, un socle sur lequel s’édifie la Nation tunisienne!
C’est donc semer la discorde au sein de la Nation, que de tenter d’effacer cette mémoire. Et cela ajoutera de l’eau au moulin de ceux qui n’ont jamais reconnu la légitimité de l’État et de la République, notamment les partisans de l’Islam Politique.
Et quand bien même cette vision dominante n’est pas conforme totalement à l’Histoire; elle constitue un mythe fondateur que personne n’a le droit de toucher. Encore moins celui qui détient le magistère suprême!
La vision de KS de l’histoire politique de la Tunisie se résume en un mot: la vraie histoire de la Tunisie commence avec moi à sa tête. N’a-t-il d’ailleurs pas proclamé, du haut de la tribune du parlement, que l’humanité toute entière, depuis son accession au pouvoir, vit un tournant historique? Personne à l’époque, parmi les opposants et toute l’intelligentsia n’avait relevé ce détail. Car occupés qu’ils étaient à le flatter et à lui multiplier les serments d’allégeance.
Or l’élection de KS n’a été qu’un infime détail de l’Histoire de notre pays plusieurs fois millénaires! Alors, il est clair qu’une fois de plus, le Président de la République a raté sa sortie. D’autant plus que le peuple, dont il se croit le seul représentant, attendait un discours rassembleur, qui unit et qui ne divise pas. Et surtout en ce moment crucial de la vie de la Nation où elle est exposée à tous les dangers, intérieurs et extérieurs.
En effet, le peuple attend qu’on le rassure sur l’avenir; alors que tout s’écroule autour de lui. Et qu’une menace de guerre mondiale existe réellement. Sans parler des graves répercussions de la guerre en Ukraine qui ne tarderont pas à se ressentir sur son pouvoir d’achat. Lequel est déjà mis à mal par une décennie de gabegie sans précédent.
Une vision brouillée de l’avenir
Nous disons une vision brouillée, pour ne pas dire que l’observateur attentif aux déclarations du Président de la République, trouvera beaucoup de mal à déceler une vision tout court, à travers toutes ses déclarations et discours.
Mais nous nous accrochons aux bribes qu’on peut trouver. Et notamment celles qui filtrent à travers le discours du 20 mars 2022.
Ainsi, il a annoncé un referendum, comme conséquence logique, selon lui de la consultation. Rien ne sert de continuer à discutailler si cette dernière est une réussite ou un échec. Le fait est là: plus de 500 000 personnes ont participé et c’est important; même si les questions posées n’étaient pas des meilleures.
Mais un referendum est d’abord une réponse par oui ou par non. Comment peut-on résumer les millions de réponses contenues dans la consultation en une seule question? Cela sera certainement une prouesse que l’intelligence humaine n’avait jamais connue auparavant et ne connaîtra jamais dans l’avenir!
Mais supposons que c’est possible et que la réponse à la question qui ne peut être que: « Êtes vous pour un régime présidentiel », soit un oui ou un non! A quoi cela servirait puisqu’on n’aura que des élections législatives et encore ce n’est pas si sûr. Sachant que les partisans de KS, du moins une partie, opteraient pour un système à la jamahiriyya libyenne de feu Khaddhafi. Où une simple réunion d’un « comité populaire » pourrait annuler la candidature du malheureux élu.
L’on serait alors devant une assemblée continuellement déstabilisée. Et la représentativité de l’élu n’aurait plus aucun sens. Parce qu’il ne sera pas l’élu du peuple, mais de sa localité ou de ses simples supporters! La révocabilité d’un élu en dehors d’élections législatives à date fixée d’avance dans la loi électorale frappe au cœur le principe démocratique. C’est de l’anarchisme pur et dur.
Et jusqu’à maintenant, il ne semble pas que KS ait écarté ce modèle. En dépit des avertissements lancés publiquement par ses propres conseillers, professeurs universitaires de droit constitutionnel de leur état. L’on ne serait plus, dans le cas où ce modèle serait imposé dans une République, mais dans une forme de despotisme oriental à la Khaddafi. On se dirigera alors vers la catastrophe annoncée. Il est clair qu’en voulant donner des éclaircissements sur sa démarche, KS n’a fait que brouiller d’avantage la situation.
Quant aux mesures dites « économiques » dont il a signé les décrets, elles ne peuvent qu’enfoncer d’avantage notre économie dans le marasme généralisé.
A cet égard, ni les produits de base et les denrées alimentaires, qui connaissent une pénurie jamais égalée dans l’histoire de la République, ne retrouveront les étagères des commerçants de sitôt; ni l’argent qui aurait été détourné des caisses de l’État du temps de l’ancien régime ne viendra renflouer le Trésor public ou encore moins serait utilisé pour venir au secours des zones d’ombre et créer des emplois.
La répression, même si elle se justifie, ne peut inciter le capital à investir. Seul le profit peut le faire.
C’est la preuve que notre Président est du moins un néophyte en matière d’économie sinon un utopiste. Ce qui est encore plus grave. De toute façon il faut d’abord trouver l’argent « spolié » dont parlent nos révolutionnaires. Et même s’il existait, il y a belle lurette qu’il aurait quitté le pays, souvent par les moyens les plus légaux.
Mais ce qui est encore plus incroyable, c’est qu’au cours de son discours au conseil des ministres, il a déclaré à propos de ces « spoliateurs » de l’argent du peuple, qu’ils avaient crée des lois pour s’enrichir! Illégalement? Une façon de reconnaître que la « spoliation » a été faite dans la légalité la plus absolue!
Reconnaissons quand même qu’une telle déclaration constitue une prouesse pour un professeur de droit. A moins de promulguer des décrets rétroactifs, on ne peut honnêtement imaginer comment il va faire pour les obliger à restituer l’argent « spolié » légalement. Même si tous les juges le suivaient dans ce dessein. A moins de changer tous les juges.
De toute façon, une grande partie des hommes d’affaires dont il parle ont déjà payé à la troïka et ses successeurs. Et c’est un secret de polichinelle que de le dire.
Ce qui est grave dans tout cela, c’est que l’on verrait de moins en moins d’hommes d’affaires tunisiens, même ceux qui ne figurent pas sur la liste des « corrompus », se hasarder à investir leurs sous. Et donc encore moins ces affreux capitalistes étrangers! Car investir suppose un climat de confiance, ce qui malheureusement n’existe plus et ce n’est pas seulement la faute de KS.
Au final, il est clair que le discours présidentiel du 20 mars n’a fait qu’empirer les choses. Les Tunisiens en sortent plus divisés que jamais. Alors que le rang de ses opposants s’agrandit jour après jour, et que les pressions extérieures deviennent de plus en plus fortes, en témoigne le message envoyé par le chef de la diplomatie américaine au « peuple tunisien », ce même 20 mars, ignorant superbement son président et son gouvernement, KS continue sa fuite en avant. Jusqu’où?