Suivant l’exemple du grand militant de gauche, Noureddine Ben Kheder, passé durant de longues années par les geôles de Bourguiba dans les années 70, et qui déclarait pourtant à l’automne de sa vie que nous sommes tous « des enfants de Bourguiba » ; le président de la République, Kaïs Saied, par un pied de nez dont l’histoire a le secret, vient d’admettre que le l’héritage bourguibien est « globalement plus que positif ». Il était temps.
A qui s’adressait le président de la République, hier à Monastir, quand il rendait un vibrant hommage au Combattant suprême? D’abord, aux sympathisants du PDL d’Abir Moussi pour rappeler aux uns et aux autres qu’il est et demeure l’un des fils de Bourguiba. Ensuite aux adeptes de l’islam politique en Tunisie pour marquer le fossé profond qui sépare l’œuvre émancipatrice, moderniste et laïque du père de la Nation, bâtisseur de la Tunisie moderne, de leur projet passéiste, rétrograde et obscurantiste. Bourguiba ne disait-il pas, à juste titre, que ce qui le sépare de ces gens là se mesure en quinze siècles?
Ambigüité
Pourtant, il faut admettre que la position de Kaïs Saïed envers l’histoire nationale, et la personnalité de Bourguiba en particulier, ne manque pas d’ambigüité.
N’avait-il pas dénoncé avec des mots durs les zones d’ombre du régime de Bourguiba et les méfaits du parti unique. Et ce, lors de son discours prononcé à l’occasion de la fête de l’Indépendance au lendemain du 20 mars 2022?
N’avait-il pas encore boudé justement le 20 mars dernier, cette date historique où les Tunisiens profitaient d’une journée chômée payée dans une ambiance morose, d’une désolante tristesse?
Enfin, n’avait-il pas à cette occasion fustigé pêle-mêle la réduction des libertés durant le règne de Bourguiba, le complot de 1962, les tribunaux d’exception et l’interdiction du Parti communiste. Ainsi que la cécité politique du Parti socialiste destourien (PSD). Lequel refusa, à l’issue du congrès de Monastir en 1974, d’accepter le principe de la pluralité politique?
Une manière, selon les mauvaises langues, d’accaparer l’histoire nationale à son profit. Et de substituer la date du 25 juillet, jour de la fête de la République concomitant au coup de force de Kaïs Saïed, à la fête de l’Indépendance. D’ailleurs, le président Ben Ali n’avait-il pas agi de même. Et ce, lorsqu’il décida de priver le peuple des funérailles grandioses de Bourguiba. A la place, la télévision nationale passait un documentaire sur les oiseaux migrateurs… !
Revirement
Virage brutal à 180° à l’occasion du déplacement du chef de l’Etat, hier mercredi, au mausolée de Bourguiba à Monastir. Où il a participé à la commémoration du 22ème anniversaire du décès du premier président de la République tunisienne. Avec à la clé un message fort: l’œuvre de Bourguiba fera face à l’adversité interne et externe. Aussi bien aux tentatives systématiques de l’islam politique de déstabiliser l’État qu’à l’ingérence étrangère dans les affaires internes de la Tunisie, un Etat souverain.
Un hommage à Bourguiba, mais tardif
C’est dans ce sens que le chef de l’Etat a affirmé sa volonté de militer pour la liberté du peuple tunisien en s’opposant à toute ingérence étrangère. Et en se référant directement au patriotisme de Bourguiba, qui « n’a pas cédé un iota du territoire national, en dépit des vicissitudes de l’époque ». « Nous ne sommes pas une régence (de l’empire ottoman NDLR) […] Nous sommes un Etat souverain et le peuple est souverain. Il n’y aura pas de transition résultant de complots ou d’intimidation étrangère […] Ce qui se passe aujourd’hui est inacceptable ». Ainsi a-t-il martelé, en allusion à la déclaration du président turc Erdoğan. Ce dernier ayant mis en cause la dissolution du Parlement. Suite à quoi, l’ambassadeur turc fut convoqué au siège du ministère des Affaires étrangères.
Le leader du mouvement nationaliste avait joué un rôle historique dans l’obtention de l’indépendance de la Tunisie, soulignait l’orateur. En poursuivant qu’il « n’avait pas seulement l’intention de libérer la Nation; mais également la volonté de libérer la société et les esprits. Il avait pris des décisions révolutionnaires ayant permis de réaliser une véritable révolution culturelle ».
Et de mettre l’accent sur: l’importance de l’enseignement généralisé; les soins gratuits; sans omettre l’élaboration du Code du statut personnel. « Le paysage tunisien s’est complètement transformé grâce aux politiques sociales adoptées […] Certains cherchent à acquérir une légitimité en usant de son image, qu’il repose en paix […] Nous sommes venus ici afin de lui rendre hommage loin de toute exploitation politique. Nous n’oublions pas notre histoire et nous n’oublions pas ceux qui se sont sacrifiés pour cette patrie ». Ainsi parlait, visiblement ému, le chef de l’Etat.
Grand homme était Bourguiba, grand homme il reste dans le cœur de ses compatriotes. Pour l’Histoire, il était Jugurtha, le roi numide, qui avait réussi.