Evènement dans le secteur des assurances : la Mutuelle Assurance de l‘Enseignement (MAE) vient d’adhérer au Groupement d’intérêt économique Euresa. C’est la première compagnie d’assurance tunisienne qui adhère à ce groupement qui pèse 37 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Lassaad Zarrouk, directeur général de la MAE, revient sur les circonstances dans lesquelles cette adhésion a eu lieu et sur les avantages à en tirer. Il évoque avec force conviction également les projets futurs de la MAE et les performances des sociétés d’économie sociale et solidaire et leur rôle dans l’échiquier socio-économique. Edifiant.
L’évènement chez la Mutuelle Assurance de l’Enseignement (MAE), c’est, manifestement, son adhésion récente au groupement d’intérêt économique Euresa. Voudriez-vous nous donner des éclairages sur cet exploit, dans la mesure où la MAE est la première compagnie d’assurance tunisienne à y adhérer ?
A l’occasion de la célébration, cette année, du 60ème anniversaire de la MAE, et en prévision de notre plan stratégique pour les prochaines années, nous avons estimé indispensable de donner une nouvelle dimension à la Mutuelle et de faire en sorte qu’elle passe à un palier supérieur de performance et de croissance. Après plusieurs années d’efforts de transformation, de modernisation et de progression de l’entreprise, nous avons jugé que le moment était venu pour s’ouvrir à l’expertise internationale en matière de mutualité, de gestion des mutuelles et d’amélioration de l’impact de la gestion des mutuelles dans le monde de l’assurance.
Pour ce faire, nous sommes allés voir comment les sociétés mutuelles d’assurance opéraient à l’échelle internationale. Fort heureusement, nous avons eu un bon accueil de la part d’un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) de 15 mutuelles européennes et méditerranéennes, d’un poids économique et financier important : un chiffre d’affaires cumulé de 37 milliards d’euros, 57 000 salariés et 42 millions d’adhérents. Il s’agit du groupement d’intérêt économique Euresa, dont le siège est à Bruxelles. Tandis que sa direction générale est à Paris.
Euresa sert d’outil de coopération et de mutualisation entre des sociétés d’assurance appartenant à l’économie sociale et solidaire. Ce groupement présente l’avantage de favoriser l’échange ’expertise et le transfert de technologie. C’était, pour nous, l’occasion de demander l’adhésion à ce groupement et de permettre à la MAE d’intégrer une nouvelle dynamique mutualiste, capable de donner une autre vision de l’assurance dans un monde qui change tous les jours, qui adopte de nouvelles technologies, dans une perspective de solidarité et d’inclusion sociale.
C’est l’occasion pour nous de chercher la solution idoine capable de nous donner cette dimension internationale et d’améliorer la compétitivité des diverses composantes de la MAE : gouvernance, personnel, direction générale, formation… Pour nous, l’adhésion à Euresa est une priorité pour nous engager dans une dynamique de transformation et de modernisation de notre mutuelle, à l’image de ce qui prévaut dans ce domaine à l’échelle internationale.
Sur le court terme, avez-vous programmé des actions de partenariat ?
Sur le court terme, avez-vous programmé des actions de partenariat ?
Deux actions sont programmées. Au mois de mai prochain, on recevra la direction générale d’Euresa pour préparer des échanges concrets. Ces derniers concernent essentiellement le transfert de know how en matière d’expertises et de technologies qu’Euresa va mettre à la disposition de la MAE. La deuxième action portera sur l’organisation, en partenariat avec Euresa, vers la première semaine d’octobre 2022, d’un symposium sur « les mutuelles et leur impact économique et social dans un monde qui change ».
L’idée est de concilier entre la vocation sociale et solidaire des mutuelles et la performance économique. Il s’agit de converger vers deux objectifs qui paraissent, en apparence, antinomiques, mais qui sont en fait complémentaires : la performance économique et l’impact social et solidaire. Il s’agit aussi de dégager une performance économique qui permettra de fournir les moyens requis pour financer l’action sociale et solidaire. Ce sont deux faces d’une même pièce. On ne peut pas s’intéresser à l’économie sociale et solidaire si on n’a pas les moyens. Et on ne peut avoir les moyens que si on est une entreprise performante.
La rentabilité est un atout majeur pour permettre de dégager les flux financiers capables de nous donner les moyens de financer nos progrès. Le projet social de la MAE, c’est de servir l’humain, une approche adoptée lors d’une réunion tenue le 23 août 2020 pour amender notre statut et être, ainsi, en conformité avec l’économie sociale et solidaire adoptée au mois de juin 2020. C’est dans cet esprit que la MAE a créé, officiellement, lors de la tenue, le 19 décembre 2021, de son Assemblée générale, la fondation mutuelle MAE.
Quel sera le rôle de cette fondation ?
Elle aura pour rôle de prendre en charge la stratégie philanthropique de l’entreprise, c’est-à-dire l’œuvre sociale et solidaire de la MAE vis-à-vis de la société civile tunisienne sur le plan de l’économie sociale, de l’environnement, de l’éducation et de la santé. Il s’agira également de financer des start-up qui travaillent sur l’économie sociale et solidaire. A cette fin, la fondation exploitera une partie des résultats financiers de la MAE pour financer des start-up à impact social et environnemental et des associations et des œuvres sociales au profit des régions. C’est pour cela que tout a été conçu pour assurer cette transformation et cette modernisation de la MAE.
L’adhésion à Euresa va nous permettre, d’autre part, d’apporter et de fournir aux Tunisiens les meilleures pratiques en matière d’assurance mutualiste, dont la motivation n’est pas celle d’une banque. Elle a vocation à avoir un impact sur la vie des Tunisiens. Il s’agit de revenir à notre ADN. C’est-à- dire que la MAE ne fournira plus uniquement un produit d’assurance, mais d’autres produits à vocation sociale et solidaire. Entendre par là, un retour à son écosystème qui s’intéresse à des aspects sociaux et à des services non financiers qui peuvent impacter nos adhérents.
Euresa, c’est l’espace idéal pour échanger les meilleures pratiques en la matière. Et lancer des projets à vocation sociale et solidaire. La Tunisie a besoin du tiers secteur autant que des autres secteurs public et privé. L’économie sociale et solidaire n’a pas réussi auparavant, parce qu’elle ne s’est pas imposée. C’est une adhésion volontariste des gens qui recherchent un impact social et solidaire.
A ce propos, est-ce que le marché des sociétés à vocation communautaire dites « Al Ahlia » du chef de l’Etat vous intéresse en tant que mutuelle assurance ?
Lorsqu’on évoque dans le décret-loi relatif aux sociétés « Al Ahlia », une personne, une voix, cela me rappelle indéniablement la littérature de l’économie sociale et solidaire. C’est-à-dire que les actionnaires sont les propriétaires de l’entreprise, une entreprise à but non lucratif au service de ses adhérents. Cela ressemble à ce schéma, mais il faut voir dans la réalité comment cela va se passer. Est-il besoin de rappeler ici, que ce genre de sociétés à vocation communautaire existe partout dans le monde, au Canada, aux Etats-Unis, au Brésil…
A la MAE, bien évidemment, ces entreprises nous intéressent parce que nous sommes une mutuelle régie par le code des assurances. Mieux, à travers un éventuel accompagnement de ces entreprises, nous voulons montrer aux Tunisiens que la troisième voie, voire le tiers secteur, peut apporter quelque chose au pays. L’exemple nous a été donné par l’assureur français Groupama. Cet assureur est devenu un groupe international, mais il a gardé son ADN de mutuelle assurance.Mon rêve, c’est, un jour, de faire de la MAE le Groupama de la Tunisie. Et pourquoi pas ? Un groupe mutualiste prospère, moderne, totalement digitalisé qui peut être, en plus, facilement exportable vers d’autres pays africains qui ont la même démographie et la même culture que nous.
Je l’ai dit à nos amis d’Euresa. Je leur ai proposé d’imaginer, dans quelques années, une coopération triangulaire. Une entreprise à but non lucratif avec une entreprise d’assurance financière à but non lucratif qui vont en Afrique pour fournir les services d’une entreprise d’assurance mutualiste moderne. D’autant plus que c’est win-win (gagnant-gagnant).
A vous entendre parler, nous sommes tentés de comprendre que beaucoup de progrès ont été accomplis au sein de la MAE. Qu’en est-il exactement ?
En quelques années, nous sommes effectivement parvenus à résoudre beaucoup de problèmes liés entre autres à la gouvernance et à la stabilisation de l’entreprise. Nous sommes passés par une période très instable. C’est, seulement, l’année dernière que nous sommes parvenus à changer les textes et à élire les nouveaux représentants des adhérents. Et au mois de décembre 2021, nous avons tenu une Assemblée générale pour élire un nouveau Conseil d’administration.
Nous avons amélioré la gestion de la gouvernance de l’entreprise, nous avons innové en matière de produits. Nous avons engagé des réformes structurelles en matière de formation et en 4 ans et avons augmenté de 50% notre chiffre d’affaires. En matière de part de marché, nous sommes actuellement à la 7ème place. Nous avons amélioré également les résultats de l’entreprise, ce qui nous a permis d’investir gros dans sa modernisation. Maintenant, notre politique consiste à atteindre un nouveau palier de performance et de croissance. C’est pour cela que nous avons eu besoin d’un regard international sur notre management et notre façon de travailler. C’était inéluctable d’aller chercher de vrais partenaires stratégiques.
Au rayon des projets, la MAE créera incessamment sa propre application et sa propre carte ’adhésion digitale pour tous les adhérents. Cette carte permettra de donner plus de services digitalisés à distance. Elle va nous ouvrir des prestations qui n’ont rien à voir avec l’assurance place. Globalement, nous avons amélioré la visibilité de l’entreprise, son image. Nous avons créé une véritable dynamique au sein de l’équipe et même au niveau de nos points de vente. Nous avons investi énormément dans la rénovation de ces points de vente. Cette année, c’est le déclic qui va nous permettre de passer à un nouveau palier de croissance.
Dans votre stratégie future, avez-vous pensé à une éventuelle alliance-fusion avec une autre mutuelle d’assurance tunisienne, la Ctama à titre indicatif ?
Personnellement, je pense que tout projet de fusion n’est possible qu’entre deux entreprises extrêmement performantes. L’idée est de tout faire pour que les deux entreprises candidates à une alliance partagent les succès et performances. Et non les problèmes. Dans le stade actuel des choses, je trouve qu’il est préférable de se focaliser sur la réforme des entreprises. Et ce au lieu de chercher des alliances.
Avec la Ctama, par exemple, on peut envisager des actions à mener ensemble. Mais parler d’alliance, c’est encore tôt à mon avis. Faisons de beaux projets ensemble, s’il y a lieu. Si on arrive à faire des projets mutualistes à fort impact, ce serait très intéressant.
Vous parlez beaucoup des bonnes pratiques et des nouvelles technologies. Est-ce un choix, est-ce une politique de la MAE ?
La MAE a choisi d’investir dans les nouvelles technologies et de travailler avec les start-up. Lorsqu’il y aura des succès et des retours d’investissement, ce sera spectaculaire pour tout le monde. Nous avons donc décidé d’orienter une partie de nos résultats vers les start-up et vers le social et le solidaire. Maintenant, nous sommes en phase d’investissement. Ultérieurement, nous serons en phase de retour sur investissement. La Tunisie est en train de connaître une mutation démographique. Et les mutuelles d’assurance doivent accompagner cette transition en utilisant les nouvelles technologies.
A titre indicatif, le nombre de retraités ne cesse d’augmenter. La MAE peut leur offrir des œuvres sociales. Il y a des retraités qui ont des compétences énormes et qui ne font rien. Les mutuelles peuvent jouer un rôle pour les aider à valoriser leur savoir-faire. Les mutuelles sont appelées à fournir non seulement des prestations d’assurance, mais au-delà. Nous sommes intéressés également par toutes les activités à impact environnemental.
Votre dernier message ?
A travers notre adhésion à Euresa, c’est une volonté déclarée de la MAE. Et ce pour apporter une contribution très active aux Tunisiens. Et pour leur prouver que les mutuelles ont leur place dans l’échiquier socio-économique. C’est une action complémentaire. Ainsi, nous nous engageons à apporter aux Tunisiens les best practices en matière d’assurance. C’est un engagement militant à visage humain
(Interview réalisée par Hédi Mechri et Khemaies Krimi publiée dans le n°842 de L’Economiste Maghrébin du 13 au 27 Avril 2022)