Nous avons dû relire plusieurs fois les déclarations incendiaires de Marzouki, Abbou et Néjib Chebbi, appelant à renverser par « tous les moyens le Président de la République, élu, rappelons le démocratiquement au suffrage universel à plus de 70% des voix, et toujours premier dans les sondages quant aux intentions des électeurs. Pour conclure que ces opposants appellent directement à un coup d’État, pur et simple. Ce trio particulièrement, appelle systématiquement l’armée et les forces de l’ordre à désobéir au chef suprême des armées et des forces de sécurité.
Rappelons aussi que ces mêmes personnes s’étaient illustrées pendant toute la période Ben Ali et avant lui Bourguiba, par ce qu’elles appelaient alors leur combat pour la démocratie et la liberté. En s’octroyant par la même occasion les titres de grands démocrates devant l’Éternel. Or un démocrate par définition ne peut jamais cautionner et encore moins s’impliquer dans un coup d’État quelques soient les raisons invoquées.
Ce même Abbou s’était distingué d’ailleurs, avant le 25 Juillet 2021, par ses appels au même Président qu’il appelle aujourd’hui à renverser. Et ce, pour que ce dernier donne l’ordre à l’armée d’en découdre avec les islamistes d’Ennahdha; à l’époque ses ennemis du moment. Puisqu’ils avaient renversé le gouvernement Fakhfakh, où il était presque un Vice-président.
Une opposition tous azimuts
Quant à Marzouki qui s’est illustré depuis l’époque Ben Ali par ses appels au Président américain Obama à intervenir afin de renverser le pouvoir en place; ce que ce dernier d’ailleurs avait fini par faire. Tout le monde s’accorde à douter de ses capacités intellectuelles. Et pourtant, il fût et pendant trois ans le Président en titre de la République Tunisienne.
Mais voilà qu’un troisième démocrate se joint à ce concert, qui pendant longtemps était considéré comme un homme politique sérieux et un homme de principes, Ahmed Néjib Chebbi. Ce dernier, sans crier gare, vient d’annoncer dans une conférence de presse tenue à Tunis, sous les regards hébétés des forces de l’ordre, qu’il vient de créer un « Front de Salut » pour annoncer un « gouvernement de salut national ». Lequel sera validé par un parlement dissous et voté par des députés qui ont tous défilé devant le juge d’instruction, pour l’accusation de « complot contre la sûreté de l’État ». Evoluant donc de fait vers une situation de gouvernement parallèle que certains voudraient faire résider à l’étranger. Ce qui risque de créer une scission profonde au sein de l’État, exactement comme en Libye. Et nous mènera directement à la guerre civile. Rien moins que cela!
Tout se passe comme si un chef d’orchestre clandestin dirigeait cette symphonie maléfique. Chef d’orchestre qui ne peut être qu’un maestro en la matière, et qui d’ailleurs ne s’en cache pas. Vous l’avez deviné, Rached Ghannouchi en personne! Or ce dernier est loin d’être un fou!
Un Président aux abonnés absents
Alors que cette fronde s’installe, et que son principal ennemi déclaré est le Président de la République, ce dernier, qui nous a habitués à des sorties incendiaires face à des ennemis qu’il ne nomme jamais, mais que souvent il nous a promis de punir, sans tenir sa promesse, fait totalement le mort, comme si cela concerne un autre pays et non le nôtre!
Alors, changement de tactique politique? Ou une nouvelle théorie dans la gestion de la communication de crise, qui se met en place? A-t-il peur, pour une fois de répondre directement à ses détracteurs? Surtout qu’une nouvelle recrue, totalement inattendue, vient de les rejoindre? A savoir, son ex-directrice de cabinet et non des moindres?
Il faut avouer que notre Président brille par l’art de convertir ses amis politiques en ennemis. Ghannouchi, le couple Abbou, ses ex conseillers à Carthage, et la liste est longue. N’empêche que son silence face à cette attaque en règle, qui dépasse toutes les lignes rouges, surprend plus d’un observateur attentif!
Certains de ses supporters fantômes, puisqu’ils se cachent courageusement derrière des pseudonymes, sur les réseaux sociaux, l’appellent à sévir en appliquant la loi. Avant que la brèche ouverte par ses farouches opposants ne s’élargisse et provoque un tsunami qui emportera le tout. Mais ils ignorent que devant une situation politique aussi complexe et inédite, la démarche répressive ne peut que jeter de l’huile sur le feu et que la seule réponse ne peut être que politique!
Or c’est ce qui manque le plus à Kaïs Saïed, le savoir-faire politique, surtout en temps de crise. Celui qui consiste à rassembler autour de lui des forces politiques capables de réduire l’influence grandissante de ses opposants, et pas spécialement ceux qu’on vient de mentionner.
De plus, cette incapacité presque structurelle chez lui, de mener de grandes manœuvres pour renforcer ses positions est accentuée par une poussée sans précédent de la seule force montante et pas seulement dans les sondages, le Parti Destourien Libre de Abir Mousi. En effet, il continue à agir sur le vrai terrain politique et se prépare aux élections législatives de décembre prochain. Les sondages le donnent vainqueur; et ce, quel que soit le mode de scrutin adopté.
Mais le silence du Président ne concerne pas seulement ses réponses aux attaques de ses détracteurs; mais surtout et essentiellement, le texte censé être d’une nouvelle constitution où de l’ancienne amendée qu’il devait présenter au référendum.
Avant un « dialogue » devait s’instaurer avec la participation de ce qu’il appelle « les forces patriotiques ». La tendance presque déclarée étant l’exclusion des représentants de l’Islam Politique et de leurs alliés de ce « dialogue ». Car, pour KS, on ne dialogue qu’avec ceux avec qui nous sommes d’accord! Une vision du dialogue qui rompt avec l’acceptation jusqu’ici universellement reconnue.
De toute façon à trois mois de ce référendum, aucune commission ni de la synthèse de la fameuse consultation, ni de la formulation de la supposée constitution ne sont constituées. Ce qui laisse dire à ses adversaires, qu’il ne tiendrait pas ses propres promesses! Et cela ne fera qu’agrandir leur rang.
Plus le temps passe et plus les espoirs de voir un vrai débat s’installer dans le pays s’évaporent. Remplacés qu’ils sont par des chamailleries et des insultes à l’intérieur du camp de KS lui même. Ces chamailleries font honte d’ailleurs à tout Tunisien qui a hérité du sens noble de la politique. Devant cela aussi KS garde le silence et n’essaye même pas de faire taire ses supporters fanatisés à outrance.
Un vent de folie souffle sur le pays
L’on sait qu’un vent de folie souffle sur le pays depuis 2011. Mais ces derniers temps, cela a atteint un degré jamais égalé auparavant. Les sociologues et les psychologues de masse doivent se pencher sérieusement sur la question. Et cela ne touche pas seulement la sphère politique, mais c’est dans cette dernière que la folie des grandeurs atteint des proportions inquiétantes. Tout cela au nom d’idéaux nobles évidemment. Et au nom du peuple, qui heureusement ne demande que d’améliorer son vécu quotidien et regarde avec nonchalance ces gladiateurs du verbe qui s’entre-tuent pour le pouvoir.
Notre peuple a désormais les pieds sur terre et ne croient plus les fausses promesses des pseudo-politiciens. Imaginons un instant Bourguiba qui se réveille de sa tombe et observe avec ses yeux d’aigle, ces politicards de cette deuxième République? Il ne reconnaîtra pas sa Tunisie pour laquelle il avait, avec ses compagnons, sacrifié une vie entière. Son objectif qui était de faire de « cette poussière d’individus » un peuple et une nation modernes est loin d’être atteint.
Le pays part totalement à la dérive, et la scène politique n’inaugure rien de bon. Des apprentis sorciers jouent à se faire peur et le pays s’enfonce de plus en plus et quotidiennement dans la crise, économique, politique et sociale la plus profonde de son histoire.
Mais c’est bien ces mêmes politiques par effraction qui ont été élus du moins depuis 2011 à des postes de commandement, et qui ont mené le pays là où on sait. Certains franchiront le pas pour dire que c’est la preuve que le pays n’est pas encore apte pour la démocratie!
De tout façon, rien ne prouve qu’un système qui se débarrasse de fondamentaux de la démocratie fera mieux en matière de gouvernance politique et économique. D’où le pétrin dans lequel s’est fourré notre pays.
Mais une chose est certaine, la classe politique qui a pris le pouvoir après le tournant de Janvier 2011, est d’une médiocrité sans appel. Pourtant et cela est certain le pays regorge de compétences dans tous les domaines, mais le système politico-juridique qui a été installé opère avec le principe du nivellement par le bas.
Plus tu es médiocre et plus tu as des chances d’être élu ou coopté. C’est le règne de la médiocratie démocratique. Pas besoin d’analyses approfondies de la situation, les résultats et les chiffres ne laissent aucun doute. A ce rythme, on va directement dans le mur. Et toujours pas de solutions en vue. Alors la question est: comment assainir la classe politique et retrouver la lumière du bout du tunnel?