Les critiques fusent de toutes parts contre le décret-loi n°30 du 19 mai 2022, portant création de l’Instance nationale consultative pour une nouvelle République. Le président de la République sera-t-il tenté de le modifier pour faire face à la fronde générale ? Ou procédera-t-il à un passage en force, ô combien périlleux?
C’est le grain de sable qui fait grincer la machine. Déjà, la commission nationale consultative juridique et la commission des affaires économiques et sociales prévues par le décret-loi n°30 du 19 mai 2022, portant création de l’Instance nationale consultative pour une nouvelle République, présidée par le doyen et professeur de droit, Sadok Belaïd, a du plomb dans l’aile.
La fronde des universitaires
En effet, les doyens des facultés de droit, des sciences juridiques et politiques désignés comme membres ont décliné leur nomination au sein de la commission consultative. Car il intervient « sans notification préalable, ni consultation et dialogue avec les personnes concernées ». En soulignant leur ferme volonté « de veiller à la neutralité des institutions universitaires ». Un boycott en règle, mais drapé des formules de politesse d’usage.
Ainsi, « tout en respectant la confiance du président de la République dans les cadres supérieurs de l’Etat », les doyens expriment leur « attachement à l’impartialité des institutions universitaires. Et la nécessité de les tenir à l’écart du fait politique ». C’est bien ce qu’ont peut lire dans un communiqué rendu public le mardi 24 mai 2022.
« Si les universitaires ont le droit, à l’instar de l’ensemble des citoyens, d’avoir des opinions politiques et de les exprimer en toute liberté, la pratique de ce droit devra être en leur nom personnel. Et non au nom de l’institution universitaire; a fortiori lorsqu’ils occupent un poste de responsabilité au sein de l’université tunisienne. Et ce, en s’en tenant au devoir de réserve », soulignent les doyens des facultés de droit.
Pour rappel, le fameux décret-loi n°30 porte création d’une commission consultative juridique. Laquelle est constituée des doyens des facultés de droit, des sciences juridiques et politiques. Sa présidence étant assurée par le membre le plus âgé.
Coup fatal
Ainsi, la dite commission consultative et juridique sera chargée « de préparer une nouvelle Constitution qui répondra aux aspirations du peuple. Et sera garante des principes de justice et de liberté, dans un régime démocratique réel ».
Or, il va sans dire que le boycott de la commission consultative juridique par des doyens des facultés de droit, des sciences juridiques et politiques risque de porter un coup fatal à l’ensemble de l’édifice concocté par le président de la République.
En effet, décret-loi n°30 prévoit la mise en place d’une commission de dialogue. Elle devra faire la synthèse des travaux des deux commissions (juridique et affaires économiques et sociales). Puis soumettre un rapport au chef de l’Etat, au plus tard le 20 juin.
Bidouillage
Alors que faire? Réponse du doyen Sadok Belaïd: « eli hdhar yzazi ». Traduisez: on trouvera bien d’autres doyens plus disposés pour siéger au sein de la commission consultative juridique. Flagrante impréparation et manque de professionnalisme. Bref, bidouillage à la tunisienne, style (barra bark) d’un organe chargé théoriquement de préparer une nouvelle Constitution. Soit la loi fondamentale la plus élevée de l’ordre juridique. Drôle de Constitution et drôle de nouvelle République!
Rejet quasi général
Rappelons enfin que ce couac de dernière heure s’ajoute à l’opposition farouche manifestée par plusieurs partis, organisations nationales, figures politiques et universitaires au décret-loi n°30.
Ainsi, le parti islamiste Ennahdha considère cette démarche comme « parachutée; ainsi qu’une consécration du coup d’Etat du 25-Juillet et de l’autocratie ».
Pour Afek Tounes, il s’agit d’une « fuite en avant qui ne ferai que pousser davantage le pays dans l’inconnu. Surtout que ladite commission n’est pas en mesure logistiquement parlant et de par sa composition de répondre à la crédibilité et transparence nécessaires à un vrai référendum ».
De son côté, Attayar annonce aussi son refus du dialogue national pour une nouvelle République. Et il affirme qu’il ne participera ni au référendum ni aux élections législatives, prévues en décembre 2022.
Quant à la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), elle confirme sa participation au dialogue national. Mais « sous réserve d’intégrer le comité juridique de la commission consultative ».
Reste le gros morceau, l’UGTT. Sachant qu’à l’issue de la réunion, lundi 23 mai, de leur commission nationale administrative, tenue à Hammamet, les syndicalistes, tout en tenant à réaffirmer leur soutien à la dynamique du 25 juillet, ont annoncé leur refus catégorique de participer au dialogue national « selon la formule explicitée dans le décretn°30 du 19 mai ». Sans pour autant fermer définitivement la porte du dialogue avec Carthage, au cas où le Président changerait d’avis.
De la poudre aux yeux
Mais que fera Kaïs Saïed pour reprendre la main? Va-t-il se rétracter et revoir la copie du fameux décret-loi source de cette fronde générale?
Très peu probable. Car l’instance nationale consultative pour une nouvelle République ne serait en vérité qu’un cadre juridique destiné à faire croire à ses compatriotes candides qu’il ne décide pas seul de l’avenir de notre pays et de celui des générations futures.
En effet, la Constitution serait déjà écrite et le référendum du 20 juin ne servira qu’à l’adouber. Le reste n’est que littérature.