Le référendum imposé par Kais Saied, et les élections législatives devant suivre en décembre 2022 sont sur la table de la Commission de Venise depuis le 27 avril 2022. C’est le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), par l’intermédiaire de la Délégation de l’Union Européenne en Tunisie, qui l’a saisie pour faire toute la lumière sur l’attitude de Saied.
Ce qui a alerté le plus, c’est le décret-loi n° 2022-22 amendant et complétant la Loi organique n°23 sur l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE), paraphé par Kais Saied le 22 avril 2022., ainsi que bon nombre d’autres reproches contre les projets du président de la République.
En effet, après avoir passé à la loupe le plan de Saied dans son intégralité, la Commission de Venise a abouti aux conclusions suivantes :
La Commission de Venise réserve expressément sa position sur la compatibilité de l’ensemble des décrets présidentiels et décrets-lois adoptés par le Président de la République à partir du 26 juillet 2021 avec les standards internationaux et avec la Constitution de la Tunisie (en l’absence d’une cour constitutionnelle).
L’objet de cette opinion est d’exprimer un avis sur le décret-loi n° 2022-22 à la lumière de la Constitution, du cadre juridique actuellement en vigueur en Tunisie et des standards internationaux. La Commission de Venise est parvenue à la conclusion que ce décret-loi n° 2022-22 n’est compatible ni avec la Constitution, ni avec le décret présidentiel n° 2021-117, ni avec les standards internationaux. Elle est d’avis, par conséquent, que le décret-loi n° 2022-22 devrait être abrogé.
La Commission est d’avis – indépendamment de la question de savoir s’il est légitime de modifier la Constitution en dehors de la procédure prévue par la Constitution qui est toujours, partiellement au moins, en vigueur – qu’il n’est pas réaliste de prévoir d’organiser de manière crédible et légitime un référendum constitutionnel le 25 juillet 2022, en l’absence – deux mois avant la date prévue pour la consultation – de règles claires et établies bien à l’avance, sur les modalités et les conséquences de la tenue de ce référendum et surtout en l’absence du texte de la nouvelle Constitution qui sera soumis au référendum.
La Commission considère qu’avant tout référendum constitutionnel, des élections législatives devraient être organisées au plus tôt, afin de rétablir l’existence du pouvoir parlementaire qui a disparu depuis la suspension puis la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Si la loi électorale devait être amendée avant les élections législatives, une vaste consultation des forces politiques et de la société civile devrait être menée afin de parvenir à un consensus sur les nouvelles règles électorales. Les élections devraient être organisées par l’ISIE dans sa composition antérieure au décret-loi n° 2022-22.
La nouvelle Assemblée des représentants du peuple pourra, bien entendu, modifier et améliorer les règles applicables à l’ISIE, et également la Constitution de 2014.
La Commission de Venise est d’avis que l’abrogation du décret-loi n° 2022-22 est essentielle pour la légitimité et la crédibilité de tout processus électoral ou référendaire.
Si le Président de la République n’accepte pas de reporter le processus de réforme constitutionnelle, ce qui semble être le cas, la Commission de Venise estime qu’au minimum il serait nécessaire :
-d’allonger (autant que possible) les délais de préparation des amendements constitutionnels et reporter la date du référendum en conséquence ;
-de mettre en place une commission véritablement représentative de toutes les forces politiques et de toute la société tunisienne et de la charger de préparer et adopter le texte à soumettre au référendum ;
–de préciser si le référendum est décisionnel ou consultatif, et quelles en seront les conséquences ; de l’avis de la Commission, il est nécessaire de prévoir expressément qu’en cas de rejet du nouveau projet de constitution, la Constitution de 2014 restera en vigueur jusqu’à son éventuel amendement par l’Assemblée des Représentants du Peuple nouvellement élue ;
-d’envisager un seuil d’approbation du référendum ;
-de charger l’ISIE dans sa composition antérieure au décret-loi n° 2022-22 d’organiser le référendum ;
-de mettre en œuvre les conditions de déroulement d’une campagne référendaire qui permette la libre formation de la volonté des électeurs (voir lignes directrices révisées sur la tenue du référendum) ;
-de permettre l’observation internationale du référendum.
-La Commission de Venise reste à la disposition des autorités tunisiennes et de l’Union Européenne.
Noureddine H.