Les élections législatives ont confirmé une tendance lourde de la vie politique française : l’extrême droite ne cesse de monter en puissance.
En France, au-delà du phénomène Zemmour, Marine Le Pen a réussi à s’imposer au cœur du jeu politique. Quelques semaines après que sa cheffe a à nouveau accédé au second tour de l’élection présidentielle, le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national (RN) a multiplié son nombre de députés par onze ! Au point de devenir le premier groupe d’opposition parlementaire. Une institutionnalisation qui résulte d’une stratégie de normalisation politico-médiatique, mais pas seulement. Il convient ici de souligner la responsabilité première du président Macron.
La normalisation de Marine Le Pen
Certes, le nombre de députés RN élus (89 sur 577) à l’Assemblée nationale constitue en soi une (mauvaise) surprise. Il n’empêche, il s’agit là d’une étape supplémentaire dans la dynamique dont bénéficie l’extrême droite, ce depuis des années.
Une dynamique qui résulte d’une stratégie de dé-diabolisation politico-médiatique qui a été renforcée par au moins trois facteurs : l’alignement de la « droite classique » sur une partie du discours de l’extrême droite lepeniste ; la dérive droitière d’un paysage médiatique toujours plus sensible aux thèses du RN ; enfin, il y a la responsabilité politique du président Macron.
En lançant des débats superficiels sur les thèmes tels que l’immigration ou le « séparatisme », en jouant avec les peurs des réfugiés, ou encore à en s’attaquant à la gauche plutôt à l’extrême-droite, le chef de l’Etat n’a fait que promouvoir cette dernière. Cette stratégie visait d’abord à imposer le duel avec Marine Le Pen. Elle semble lui avoir échappé, puisqu’il se retrouve avec une Assemblée nationale sans majorité absolue.
En n’hésitant pas à renvoyer la gauche et l’extrême droite dos à dos, il a fait preuve durant toute la campagne des législative d’une perte des repères les plus fondamentaux, une perte de sens ou de boussole politique.
L’extrême droite au cœur du système
Ironie de l’histoire : le parti historique de Marine le Pen, celui de son père, se présentait comme un parti anti-système. Il est désormais au cœur du système.
Après s’être qualifié pour la deuxième fois consécutive au second tour de l’élection présidentielle pour atteindre 41,2 % des voix (soit 8 points de plus qu’en 2017 !), le RN a réalisé une percée historique aux élections législatives. Marine Le Pen obtient avec le RN (seul, en dehors de toute coalition) le meilleur résultat sous la Ve République pour un parti d’extrême droite aux législatives.
La traditionnelle digue qu’est censé représenter le mode de scrutin majoritaire à deux tours montre ses limites dans la configuration politique marquée par un phénomène abstentionniste au plus haut, un paysage politique éclaté façon puzzle et une mobilisation constante du bloc d’extrême droite.
« Ironie de l’histoire : le parti historique de Marine le Pen, celui de son père, se présentait comme un parti anti-système. Il est désormais au cœur du système »
Non seulement le RN a assez de députés pour former un groupe parlementaire pléthorique (avec 89 élus issus de divers courants de l’extrême droite française : nationalistes, catholiques conservateurs, sociaux-populistes…), mais sa cheffe s’apprête à présider le principal groupe d’opposition à l’Assemblée nationale (les partis composant la Nupes conservant chacun leur propre groupe parlementaire, malgré la proposition d’unification de Jean-Luc Mélenchon).
Une donne politico-institutionnelle qui lui garantit un poids considérablement plus important dans le fonctionnement et l’action de l’Assemblée nationale.
Pour le RN, la constitution d’un groupe parlementaire de près de 90 députés est synonyme de renforcement institutionnel, grâce à l’accès à de nouveaux droits et moyens matériels, qui sont autant de nouvelles armes politiques pour tenter d’imposer son agenda.
Quant à la personnalité même de Marine Le Pen, cette nouvelle donne est à même de lui offrir un statut institutionnel et une stature politique synonyme de respectabilité accrue, cette vertu dont elle est toujours en quête.
Quoi qu’il en soit, quelques semaines à peine après sa victoire présidentielle, E. Macron est face à une situation inédite qu’il n’avait osé imaginer : il ne dispose pas de la majorité parlementaire nécessaire pour mener son programme…
Le spectre d’un blocage institutionnel et d’une présidence impuissante nourrit la perspective d’une dissolution et l’organisation de nouvelles élections législatives à court ou moyen terme. Il n’empêche, difficile d’imaginer que celles-ci puissent constituer un frein à la dynamique nationaliste dont les ressorts sont ancrés dans les maux passés et présents de la France.