Lors de sa récente interview fleuve sur la chaîne publique, le doyen Sadok Belaïd, coordinateur de la Commission nationale consultative pour une nouvelle République et chargé de la rédaction d’une nouvelle Constitution en Tunisie, évoquait des propositions. Elles ont le mérite de sortir des sentiers battus. Mais elles sont parfois confuses et sujettes à la polémique.
Le doyen Sadok Belaïd un agitateur d’idées? Après avoir lâché une bombe médiatique dans un entretien accordé le 6 juin à l’AFP. Dans lequel il déclarait son intention de présenter au président Kaïs Saïed un projet de constitution ne faisant plus aucune référence à l’islam. Et ce, pour combattre les partis d’inspiration islamiste comme Ennahdha. Voilà que le coordinateur de la Commission nationale consultative pour une nouvelle République récidive lundi 13 juin 2022 sur la chaîne nationale Al Watanya 1. En effet, s’il lance des pistes certes intéressantes et ne manquant pas d’originalité; elles semblent tout de même sujettes à polémique.
C’est dire que cet éminent juriste de 83 ans, à la jeunesse éternelle, aime secouer les cocotiers et jeter des pavés dans la mare des stéréotypes. Reste à savoir s’il parle en son propre nom; ou s’il reflète stricto sensu la pensée de l’actuel locataire du palais de Carthage. Tant la proximité entre le juriste spécialiste du droit public et son illustre ancien étudiant est étroite.
Ainsi, lors de cette longue interview, le juriste chargé de la rédaction d’une nouvelle Constitution en Tunisie, souligna de prime abord la gravité de la crise financière. Eu égard à la dégradation de la situation économique, Il a insisté sur l’importance « de la mobilisation de ressources et de la planification pour la réalisation de projets d’investissement et pour la réalisation de programmes de développement économique ». Mais, déplorait-il, « le principal obstacle demeure l’instabilité politique ».
Sadok Belaïd : « Nos problèmes sont d’ordre économique »
« L’économie solidaire représente 20% de l’économie nationale en France. Aux Etats-Unis d’Amérique, il y a autant de banques spécialisées en économie solidaire que de McDonald’s… Nous nous sommes principalement focalisés, durant cette période, sur l’axe économique, social, culturel et environnemental. Il n’y a pas de politique. Nos problèmes sont d’ordre économique. Nous devons donc mettre en place les mécanismes et les institutions permettant de proposer des solutions aux problèmes économiques et sociaux », soulignait-il.
Libérer l’initiative
Ainsi, Sadok Belaïd estime que le rôle de l’Etat devait être révisé. Il considère également que l’administration tunisienne était la principale cause de l’inefficacité de l’Etat. Il estime que « chaque citoyen doit contribuer à la création de la richesse et participer dans la dynamique économique ». L’Etat, selon lui, doit donc faciliter cela en évitant de monopoliser des secteurs ou des activités. « Nous allons prochainement annuler certaines autorisations. Ceci signifie une libéralisation de l’initiative […] Nous allons inclure un article affirmant le principe sur lequel se baserait l’activité économique. L’autorisation sera l’exception et elle devra découler d’une loi », a-t-il encore ajouté.
Primauté présidentielle
Sur le plan politique, l’ancien professeur émérite à l’université de Tunis, révèle que dans la nouvelle Constitution, il sera du ressort du président de la République et non du parti vainqueur des élections, comme le stipule la Constitution de 2014, de choisir et de nommer un chef du gouvernement. Et ce, pour couper court à toute figure politique partisane. Estimant que la désignation du président du parti vainqueur aux élections par le président de la République « était l’une des raisons principales des échecs politiques successifs. De plus, ceci a démontré l’incapacité du mouvement Ennahdha et des personnes désignées à gouverner ».
De même, le doyen Sadok Belaïd évoque la possibilité de mettre en place « un Comité de gouvernance ». Lequel n’aura pas en charge l’Exécutif ; mais se consacrera à la prospection et à l’initiative. Comment et par quel mécanisme? On a le droit de s’interroger.
Montesquieu « caduque et dépassé »
L’invité d’Insaf Yahyaoui sur la Watanya 1 considère que Montesquieu avait élaboré une théorie de séparation des pouvoirs sans se soucier de leur fonctionnement. Il estime que cette théorie est désormais « caduque et dépassée ».
A ce stade, soulignons que, cité par le professeur Rafaa Ben Achour, le Baron de La Brède de Montesquieu, philosophe des Lumières, conceptualisa dans son célèbre ouvrage De l’Esprit des lois, le crédo que « les pouvoirs ne peuvent s’équilibrer s’ils ne sont pas séparés et si l’équilibre est rompu. En l’absence de limites, ils sont sous la mainmise d’une seule autorité. La concentration des pouvoirs est une négation de la liberté ».
De même, notons que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne dit pas autre chose. Et ce, quand il proclame: « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Notre éminent juriste chargé de la nouvelle Constitution serait bien inspiré de relire cette charte universelle.