L’après-référendum du 25 juillet 2022, on en parle déjà. Un groupe d’ONG de la société civile vient d’organiser, les 25 et 26 juin dernier, à Hammamet, une journée d’étude sur les nouveaux acteurs et les nouvelles stratégies à suivre, après ce tournant historique.
Intitulée: « Initiative citoyenne pour une Tunisie meilleure », cette journée a été organisée par une alliance d’ONG dénommée « Alliance citoyenne des nouveaux acteurs de la société (Alcinas). Conduite par la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT), cette alliance comprend également le Synagri (Syndicat des agriculteurs), le réseau associatif à vocation citoyenne (Mosc), le réseau des organisations de l’économie sociale et solidaire, les organisations de très petites, petites et moyennes entreprises et l’association Mohamed-Ali Hammi de la culture ouvrière (Acmaco), think tank de l’Alcinas. Elle vise à réfléchir sur le post-référendum.
Désormais, les Tunisiens évoluent dans le cadre du non-Etat
Le débat a porté globalement sur la responsabilité des gouvernements qui se sont succédé depuis une dizaine d’années dans la déliquescence de l’Etat. Le constat général qui est fait au cours de cette journée est qu’on a évolué, durant cette période, dans le cadre d’un non-Etat.
L’instrument privilégié utilisé par ces gouvernements pour atteindre ce sinistre objectif n’est autre que le budget de l’Etat. L’outil budgétaire n’aurait été que le cadre légal pour justifier le maquillage des chiffres, le recours abusif à l’endettement et la promulgation d’un millier de lois et de mesures inapplicables.
Dans une communication d’excellente facture, Mohamed Salah Jenzli, universitaire et expert comptable, a décrypté les astuces utilisées par la présidence du gouvernement et le ministère des Finances pour gérer, en maîtres absolus, le budget de l’Etat selon l’effet du prince.
« L’outil budgétaire n’aurait été que le cadre légal pour justifier le maquillage des chiffres… »
Sans aucune concertation avec les autres ministères et les entreprises publiques, ce tandem, s’est employé, une décennie durant, à répartir le budget non pas en fonction des besoins réels du pays (investissement public, infrastructure, emploi…), mais en fonction des intérêts des bailleurs de fonds, des lobbys et des contrebandiers du pays.
Le conférencier a mis particulièrement l’accent sur le rôle improductif et pernicieux qu’a joué, particulièrement, le ministère des Finances dans l’aggravation des déficits et le gonflement des dettes croisées des entreprises publiques.
Morale de l’histoire: les participants sont parvenus à la conclusion que les malheurs de l’économie du pays ne sont pas dus totalement, comme on a l’habitude de le ressasser, au clientélisme, à l’économie parallèle ou encore à l’économie de rente, mais à la mauvaise gouvernance de l’Etat; et ce, pour une raison simple. C’est l’Etat, à travers les lois qu’il a promulguées, qui a légalisé l’émergence de tous ces dysfonctionnements antiéconomiques. L’Etat est ainsi le premier responsable de tous les maux que connaît le pays.
Plaidoyer pour un futur Etat-stratège
Et maintenant, « que faire ? », comme disait le leader révolutionnaire communiste russe Lénine. Pour Habib Guiza, secrétaire général de la CGTT, la première des réformes consiste à refonder l’Etat tunisien sur de nouvelles bases. Il s’agit d’instaurer ce qu’il appelle un « Etat-stratège », avec des composantes crédibles et efficaces. En l’occurrence « une société politique responsable, une société civile efficace, un mouvement syndical citoyen et un modèle de développement partenarial, durable et inclusif entre les trois secteurs (public, privé, social et solidaire) dans un partenariat tripolaire avec l’Etat-stratège ».
Toujours selon M. Guiza, « ce partenariat gagnerait à être renforcé par une réforme agraire, technologique et fiscale, une politique sociale basée sur une protection sociale universelle, des services publics de qualité, une politique de revenu équitable, des législations sociale et de travail de qualité et un dialogue social et civil efficient ».
La priorité future, c’est la sécurité alimentaire
Pour sa part, Midani Dhaoui, président du Synagri, a déploré les manquements lourds de conséquences de l’Etat qui ne fait rien pour garantir la sécurité alimentaire du pays, voire son autosuffisance alimentaire. Il a proposé de céder, sous forme de concessions, les 500 mille hectares de terres domaniales non exploités aux diplômés chômeurs. Et de faire ainsi d’une pierre deux coups: créer du travail pour ces sans emploi et accroître la production agricole du pays.
Il a stigmatisé le rôle improductif que jouent les grèves observées à Sidi Bouzid et Siliana par les travailleurs agricoles adhérents à l’UGTT, dans le blocage des activités des sociétés de mise en valeur et de développement agricole (SMVDA).
S’adapter impérativement aux exigences énergétiques et écologiques
Quant aux représentants des ONG environnementales et d’économie sociale, ils ont appelé à l’intégration, dans les futures stratégies de développement, des questions d’actualité telles que le respect de l’environnement et les énergies vertes.
Les participants à cette journée d’étude se sont ainsi déclarés comme le noyau d’une alliance citoyenne des nouveaux acteurs de la société (Alcinas). Concrètement, l’Alcinas réclame « une représentativité équitable des ONG permettant l’autonomie vis-à-vis de l’Etat. Tout en étant impliquées dans les projets d’envergure (aménagement du territoire, projets à impacts environnemental, culturel, etc.) ».
L’enjeu est d’institutionnaliser les relations entre l’Etat et les ONG et d’avoir des organisations capables d’agir efficacement sur la politique économique et sociale du pays et de développer de manière autonome des capacités de management, d’entrepreneuriat, d’autofinancement et de leadership.
« L’Alcinas réclame « une représentativité équitable des ONG permettant l’autonomie vis-à-vis de l’Etat »
Ces capacités concernent le pilotage de conception, le management de projet et la gestion financière (appels à projets publics ou sponsorisés par des bailleurs de fonds).
Autant d’idées et de projets d’alternatives qui seront approfondis lors de la prochaine université d’été de l’Acmaco, prévue pour début septembre prochain.
En somme, cette journée d’étude a eu le mérite d’avoir affiné le diagnostic des problématiques qui entravent la croissance et le développement. Dorénavant, on ne parlera plus de symptômes de maladie (clientélisme, économie parallèle, économie de rente, makhzen…), mais de mauvaise gouvernance de l’Etat et de son influence pernicieuse sur l’ensemble des rouages de l’économie.
On commence déjà à relever des signes heureux de cette prise de conscience. Ainsi, les plans de redressement des entreprises publiques exigent, en priorité, une autonomie de gestion et l’abandon de toute immixtion des ministères de tutelle. A bon entendeur