A l’occasion du 13 août, quelle est la place de la femme Tunisienne sur l’échiquier politique? Plus encore, les acquis de la femme sont-ils menacés ? Ce sont autant de questions qui demandent réflexion où il semble que le traditionalisme, conservateur et religieux soit ancré. Khadija Moalla, avocate et consultante internationale a dressé un état des lieux de la situation générale des femmes Tunisiennes. Interview:
Les acquis de la femme sont-ils menacés ?
Je pense que ce sont les acquis de la société qui sont menacés car ce qui touche la femme touche l’homme, ainsi que toute la famille. Les femmes ne vivent pas toutes seules sur une ile déserte. Donc il est impératif que nous comprenions une fois pour toute que ce qui nuit aux droits, libertés et intérêts des femmes, nuit par la même à tous les membres de la société : hommes, femmes et enfants.
C’est en ayant ceci à l’esprit que les forces progressistes devraient soutenir la cause féminine, c’est à dire comme faisant partie de la cause de tout le peuple et pas comme une cause à part, isolée de toutes les autres inégalités et vulnérabilités dont souffre la population.
Par ailleurs, il est impératif que la société civile fasse une évaluation intègre de tout son travail pour en voir réellement l’impact sur le terrain. Elle pourra peut-être se rendre compte que son action n’a pas opéré de changement radical dont la société a besoin pour évoluer et garantir que personne ne touche aux droits humains. Cela lui permettra aussi de rectifier le tir pour commencer réellement à opérer un changement de paradigme dans sa manière de voir et par conséquent d’exécuter ses plans d’action, afin que la société soit par exemple sensibilisée au contenu d’une Constitution et ne voter qu’en connaissance de cause.
La classe politique n’est pas mieux nantie et souffre d’une médiocrité des plus démoralisantes. Sa lutte n’est pas intègre car ce n’est pas une lutte contre des politiques et des orientations socioéconomiques, afin de mieux servir les intérêts du peuple, mais une querelle contre des personnes. Ils n’ont même pas la décence de reconnaitre tous leurs torts, ni l’engagement de faire une évaluation de leurs actions qui ont contribué à amener le pays dans la situation désastreuse où il se trouve actuellement, sur tous les plans et à tous les niveaux.
Encore une fois, la Tunisie se trouve au carrefour de son histoire et plus que jamais elle a besoin de l’engagement de ses patriotes incorruptibles afin de faire face à toute tentative de retour en arrière et d’atteinte aux droits humains de ses citoyennes et citoyens. Apres avoir été le pays pionnier et modèle pour tous les pays de la région, il serait désastreux de revenir en arrière et devenir le pays à la traîne de tous les autres.
Et pour revenir au 25 juillet 2022, peut-on parler d’une République tunisienne civile et laïque ou tout simplement si cette nouvelle République est devenue un mirage tout simplement, que pensez-vous?
Je ne crois pas que nous soyons encore dans une République car nous n’avons plus de « pouvoirs » qui se contrôlent mutuellement, mais uniquement des « fonctions » qui agissent sous le contrôle du chef de l’Etat. Nous sommes très loin du modèle prôné par Montesquieu de « séparation des pouvoirs ».
Rappelons que la République est un mode d’organisation d’un pays dans lequel la souveraineté appartient au peuple exerçant le pouvoir grâce à ses représentants élus, et où le chef d’État n’est pas le seul à détenir le pouvoir. Par conséquent, si nous lisons la Constitution de 2022 à la lumière de cette définition, nous allons remarquer que nous en sommes bien loin.
« La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté »
Par ailleurs, l’article 2 qui existait dans la Constitution de 2014 et qui affirmait que : « La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit »,a été supprimé. Par conséquent si l’Etat n’est plus civil, il y a de grands risques qu’il devienne un Etat religieux à cause notamment de l’Article 5, mais pas seulement. En effet, ce nouvel article 5 qui n’a jamais existé dans aucune des deux Constitutions précédentes, a été introduit, presqu’en effraction, je dirai. Effraction aux vues de notre histoire plurielle et du principe de respect de la liberté de conscience et de religion, ainsi qu’au besoin d’unité et de cohésion sociale.
Pour conclure, je ne pense pas que le texte adopté par référendum par une infime minorité du peuple Tunisien puisse être qualifié de Constitution. Une Constitution est un contrat social qui doit recueillir un maximum de voix, non seulement pour son acceptation mais surtout, pour son appropriation par le peuple. Je le qualifierai simplement de « Contrat unilatéral sous couvert constitutionnel », et il nous reste à voir maintenant son impact sur les prochaines lois et sur l’évolution de notre jurisprudence.
En attendant, notre pays est classé parmi les pays au bord de la faillite ou en faillite non-déclarée. Il est plus qu’urgent de trouver des solutions pour sauver notre population dont presque la moitié vit sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 5 dinars par jour. La situation risque d’empirer avec la rentrée et les annonces d’augmentation de prix du carburant qui aura un impact sur tout le reste.
Être aux commandes d’un pays est une très lourde responsabilité que ne devraient assumer que celles et ceux qui en sont capables. L’Histoire, entêtée, nous rappelle chaque jour qu’on ne bâtit pas un pays sur la haine de l’autre, mais sur l’engagement de servir son prochain ! C’est comme cela que nous pouvons reconnaitre les vrais leaders, de celles et ceux qui n’en sont pas et qui ne le seront peut-être jamais!
Vous trouverez également l’intégralité de l’interview en vidéo ci-dessous: