La Hadhra est un show soufi vieux de plus de trente ans que seul son créateur, l’artiste pluridisciplinaire Fadhel Jaziri détient les secrets de sa longévité.
Pour sa toute dernière présentation sur la scène du Festival International de Carthage, jeudi 18 août, la touche de modernité a été assez présente. Plus de 100 artistes, hommes et femmes, ont occupé la scène et les instruments occidentaux ont encore une fois fait leur entrée dans une version assez différente de l’ancienne Hadhra des années 90.
Chanteurs, musiciens, danseurs et choristes se sont produits de 22h00 à minuit, devant des gradins archicombles et un public de toutes les générations.
La mise en scène et la scénographie ont été largement orientée vers la théâtralisation de la notion de la Hadhra (littéralement Présence en arabe) en tant que rituel collectif qui trouve ses origines dans le patrimoine soufi.
Le concept de la spiritualité et du soufisme est traduit dans des éléments visuels dont les chorégraphies et les costumes traditionnels revisités avec tout le processus qui accompagne la Hadhra. Dans chaque scène, une danseuse rentre en transe pour finir transportée sur les épaules.
Le spectacle de la Hadhra s’est offert une cure de jouvence ; les instruments traditionnels ont cédé la place à un usage plus important des instruments occidentaux (saxophone, guitare électrique…) qui dominaient la scène.
Une touche qu’on pourra aussi attribuer à la présence de jeunes artistes comme Haythem Lahdhiri dont la voix valse entre l’opéra et le style tunisien ou encore le rocker et guitariste Ali Jaziri qui ont conquis la scène par des prestations solo.
Cette notion novatrice ne manque pas de plaire à un public accoutumé à ce genre de sonorités.
Le changement du spectacle
» Depuis sa création, le spectacle n’a jamais été présenté de la même façon ; « le style et les sonorités n’ont jamais été identiques. Il y a toujours eu un changement qui s’adapte avec l’époque et les changements de notre société », a déclaré Jaziri à l’issue du spectacle.
Il estime que l’artiste doit être en harmonie avec tout ce qui se passe dans son environnement le plus proche. Dans toute œuvre créative, que ça soit sur la scène littéraire, intellectuelle ou musicale, il serait inadmissible de ne pas tenir compte des changements qui se produisent, admet l’homme de théâtre.
L’introduction de nouveaux éléments sonores ou visuels dans la Hadhra a souvent été dominé par un souci purement créatif, « afin que l’œuvre demeure vivante », dit-il.
Fadhel Jaziri se détache de l’avis du récepteur, ce qui le pousse à adopter son œuvre telle qu’elle est conçue et non telle que l’on s’y s’attend. Cette tendance à toujours donner une nouvelle vie à son Show, lui attire parfois la foudre des spectateurs qui, en 2010, « m’ont jeté des pierres », se rappelle-t-il.*
Les réactions mitigées ne découragent pas Jaziri qui évoque un lien d’amitié avec le public qui date de 1968. Sa vocation d’artiste créateur lui permet de s’exprimer dans des styles et des œuvres aussi que divers que revisités.
L’œuvre artistique est loin d’être soumises à des codes et des visions qui tendent à la limiter dans des styles qui ne coïncident pas avec son époque. Jaziri est l’un des rares artistes qui s’accordent une certaine liberté sans trop se soucier des interprétations aussi variables que critique que son œuvre puisse susciter.
En dépit de ses lointaines origines, il définir le soufisme en tant qu’un concept propre au 21ème siècle et au-delà, le classant en tant que forme d’art, sujette à toutes les interprétations, qui est en dehors du temps et de l’espace.
Il explique que « la forme d’art diffère selon les contrées, mais la réflexion soufie est tellement large, importante, puissante qu’on peut s’y abreuver ».
La présence des femmes dans un spectacle magnifique
La place de la femme dans le soufisme est un aspect qui n’est pas moindre dans l’œuvre de Jaziri qui a sollicité des voix comme celle de Emna Jaziri. Les chorégraphies sont aussi dominées par la présence de femmes.
Jaziri admet une présence moins importante que dans de précédentes versions de la Hadhra, comme celle de 2010, dans laquelle il avait fait appel à un ensemble de voix féminines. Ce choix était « extrêmement mal accueilli », ce qui a poussé l’artiste à introduire l’élément féminin, petit à petit, et d’une manière signifiante », dit-il.
En dehors du chant, la présence des femmes dans ce nouveau spectacle est tellement importante, ce qui renvoie aussi à la grande capacité des femmes à transformer profondément une société, tout en tenant un rôle, insiste-il à dire, « apparemment secondaire ».
La Hadhra simule un rituel vieux de plusieurs siècles et auquel beaucoup de Tunisiens demeurent attachés dans des pratiques qui existent dans des lieux de culte, dans la capitale comme dans les zones non urbaines.
Ayant grandi dans la médina de Tunis , Jaziri puise dans le patrimoine liturgique et mystique par des chants qui invoquent les saints et les louanges du Dieu et de son prophète Mohamed.
Sa quête de la spiritualité fouille dans la mémoire des nostalgiques du folklore par des spectacles revisités qui essayent de garder un pont entre le passé, le présent et l’avenir.
Avec TAP