La dépendance de l’Europe au gaz russe n’a cessé d’augmenter au cours des dernières décennies, malgré des investissements massifs dans les énergies renouvelables.
En effet, la proportion du gaz de l’Europe provenant de la Russie est passée de 26% en 2001 à 37% en 2019. Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, la Russie utilise cette dépendance pour tenter de fragiliser le soutien de l’Europe à l’Ukraine et pousser à un allègement des sanctions.
En raison de la dépendance au gaz russe, les prix ont atteint des sommets sur l’ensemble du continent. En effet, le prix de référence du gaz pour le mécanisme de transfert de titres (TTF) en Europe a augmenté de près de 8 fois sa moyenne depuis 2010 (graphique 1). Toutefois, la pression n’est pas la même sur tout le continent, les pays d’Europe du Nord, centrale et orientale étant généralement les plus dépendants du gaz russe (carte).
Le gaz joue un rôle important dans l’économie européenne pour le chauffage des habitations, pour l’industrie lourde et comme combustible marginal dans la production d’électricité. Par conséquent, ces prix record agissent déjà comme un vent contraire pour l’économie européenne. Mais comme la guerre en Ukraine n’est pas près de s’achever, les marchés financiers ont décidé de tabler sur la persistance de prix élevés pour le gaz en 2023 et 2024. Cette semaine, nous examinons les implications de cette situation pour les perspectives économiques de l’Europe, en nous concentrant sur quatre canaux principaux : l’impact sur la demande des consommateurs, la production industrielle, la politique monétaire et la politique fiscale.
Tout d’abord, la demande des consommateurs est déjà touchée par les prix élevés de l’énergie, les contraintes de capacité et les marchés du travail tendus. La confiance des consommateurs s’est fortement détériorée et a encore chuté depuis le mois de mai, car les factures de services publics devraient doubler dans de nombreux pays. De même, les prix des vacances, des restaurants et d’autres services ont fortement augmenté en raison des contraintes de capacité dans les aéroports et les hôtels, qui n’ont pas été en mesure de recruter suffisamment de personnel, malgré d’importantes augmentations de salaire. Dans l’ensemble, les prix élevés de l’énergie, des services et des biens constituent un obstacle majeur à la demande des consommateurs dans toute l’Europe, malgré les niveaux élevés d’épargne de certains ménages aisés.
Ensuite, les prix record du gaz ont déjà amené les grandes entreprises utilisatrices de gaz à réduire leur consommation d’un peu plus de 10 %. Pour aller plus loin, en réponse à la réduction des flux de gaz par la Russie, l’Union européenne a négocié un objectif de réduction de 15 % de la consommation globale de gaz pour 2022. Toutefois, si la Russie interrompt complètement ses livraisons de gaz, cela pourrait ne pas être suffisant. Goldman Sachs estime qu’un arrêt des flux de gaz russe par le gazoduc Nord Stream réduirait le PIB de 3,5 % dans la zone euro, 3,7 % en Allemagne, 5,6 % en Italie et 1,5 % en France. Étant donné que les flux n’ont déjà été réduits qu’à 20 % de leur capacité, nous pouvons en conclure que le PIB sera déjà fortement affecté par la baisse de la production industrielle en Europe.
Dans un troisième temps, nous examinons l’impact sur la politique monétaire. La Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre (BoE) sont à la traîne par rapport à la série agressive de hausses de taux d’intérêt mise en œuvre par la Réserve fédérale américaine (Fed). Cela exerce déjà une pression à la baisse sur l’euro et la livre sterling, qui se sont dépréciés par rapport au dollar. La faiblesse des monnaies renforce les pressions inflationnistes, sans compter que l’inflation européenne est plus sensible aux prix de l’énergie, qui sont également plus élevés en Europe qu’aux
États-Unis. Il sera donc très difficile pour la BCE ou la BoE d’éviter de relever sensiblement les taux d’intérêt malgré la perspective très concrète d’un fort ralentissement de la croissance du PIB.
Enfin, la politique budgétaire ne peut venir à la rescousse pour deux raisons. Premièrement, par rapport à la période pré-pandémique, les gouvernements ont des déficits et des niveaux d’endettement plus élevés, ce qui limite la marge de manœuvre budgétaire. Deuxièmement, les gouvernements ne peuvent pas fournir un soutien généralisé à toutes les entreprises et à tous les ménages sans faire augmenter la demande d’énergie et l’inflation. Par conséquent, le soutien fiscal doit être limité et ciblé, avec des paiements directs aux entreprises et aux ménages les plus vulnérables.
En conclusion, l’affaiblissement de la demande des consommateurs, la limitation de la production industrielle, le resserrement de la politique monétaire et le soutien budgétaire limité signifient que les économies européennes sont confrontées à plusieurs facteurs défavorables importants. Ces vents contraires sont tous causés, ou exacerbés, par les prix élevés de l’énergie et/ou les importations limitées de gaz en provenance de Russie en raison de la guerre en Ukraine. Il semble de plus en plus probable que la guerre se prolonge jusqu’en 2023, ce qui signifie qu’une récession en Europe est désormais plus probable qu’improbable et que l’inflation devrait rester durablement élevée l’année prochaine.