Spontanéité. Tel est le mot clé par lequel Samia Orosemane présente son nouveau spectacle« Je suis une Bouffonne », samedi20 août, au cinéma Pathé. Pendant plus de deux heures non-stop, ses sketchs ont traversé le temps, sans perdre de leur intensité. Ainsi, à l’occasion de la sortie de son nouveau one-woman show, nous retrouvons l’artiste, la comédienne, pour une interview.
Samia Orosemane, vous êtes une humoriste et comédienne franco-tunisienne ou tuniso-française. Vous vous êtes fait connaître en 2009 avec votre spectacle « Samia et les 40 comiques », avec la participation d’autres artistes. La plupart de vos sketchs mettent en avant les différences de langages entre Africains. Notamment entre les langues malienne, ivoirienne, camerounaise, le marocain, l’algérien ; et bien évidemment le dialecte tunisien de vos origines…
A travers les sketchs d’hier, vous nous avez ramenés au vécu des femmes, raconté avec le sourire, pour apaiser quelques douleurs. Car,« au lieu d’en pleurer, les femmes préfèrent en rire ». Interview.
Pourquoi avoir choisi comme titre de spectacle « Je suis une Bouffonne »?
Le terme bouffonne a deux sens. Tout d’abord, bouffonne dans le sens où je ne suis pas capable de dire non. Comme des gens qui sont incapables de s’affirmer, des personnes qui se sentent toujours obligées de dire oui. Alors qu’elles n’ont qu’une seule envie, c’est de dire non. C’est ce qu’on appelle un « bouffon ».
Mais le bouffon c’est aussi autre chose. Une référence au bouffon du roi, qui à l’époque, pouvait asséner toutes les vérités qu’il voulait. Et cela passait, parce que c’était sous le couvert du roi.
Et c’est ce qu’il se passe dans mon travail. En effet, je peux parler de ce dont j’ai envie. Jamais les gens ne le prendront mal, car qu’ils savent que c’est de l’humour et qu’ils sont là pour rire.
Quel est l’essentiel du spectacle?
Je reviens sur mes dix années passées sur les routes, les expériences que j’en ai retirées, les choses qui m’ont un peu heurtée. Mais au delà de cela, il y a un sketch qui est au cœur du spectacle, un peu plus profond et un peu plus personnel. J’y raconte mon parcours de procréation médicalement assistée. Puisque cela fait des années que mon mari et moi essayons de faire un enfant ; mais que cela ne marche toujours pas. Et je sais qu’il y a énormément de couples qui passent par ces mêmes difficultés. Du coup, j’essaie d’en rire et de faire rire les gens avec ça pour apaiser un peu les douleurs et remettre de l’émotion dans leur monde.
Cela touche énormément les femmes!
Oui surtout les femmes. Cela permet aux hommes de comprendre un tout petit peu mieux ce qui se passe dans la tête de leurs femmes. Car beaucoup d’hommes ne se sentent pas trop concernés. Mais au final, quand ils écoutent mes histoires, ils finissent par se rendre compte de tout l’enjeu et tout le désespoir qu’il peut y avoir. Et ce, quand les choses ne se passent pas comme on le voudrait.
La plupart de vos sketchs parlent du vécu. Quel est le secret de votre succès aujourd’hui?
Peut-être parce que j’essaie de créer des ponts, là où il y a des murs. J’essaie de rassembler les gens, de mieux comprendre l’autre et d’expliquer comment il fonctionne. Je tente de déconstruire les stéréotypes et les clichés qu’on les uns des autres. Et je pense que cela fait du bien aux gens. Je fais en sorte qu’on se rassemble pour rire tous ensemble les uns des autres. On ne rit pas contre quelqu’un, on ne se moque pas de quelqu’un, mais on rit tous ensemble à travers nous.
Et donc aller à la découverte de l’autre, c’est aussi finalement mieux se connaître soi-même.
Alors, selon vous, quel est le rôle d’un humoriste quant aux changements sociétaux, de l’humanité et du vivre ensemble?
Le rôle de l’humoriste est de dédramatiser les situations qui sont parfois difficiles à surmonter. Mais aussi de mettre le doigt sur tous les points et tous les travers qu’il peut y avoir dans notre société. Si on arrive à faire rire de ces choses là, on fait prendre conscience aux gens de ce qui se passe réellement.
A titre d’exemple, quand je parle du racisme dans le premier spectacle, quand je raconte le jour où j’ai présenté à ma mère un Martiniquais alors qu’elle rêvait de me voir mariée avec un Tunisien originaire de Djerba, qui plus est un membre de ma famille pour faire un mariage consanguin. Je parle aussi du racisme qu’il peut y avoir au sein d’une même communauté. Puisqu’il est musulman et qu’on n’a pas voulu de lui à cause de sa couleur de peau. Cela permet au téléspectateur de se demander s’il est si grave que cela de choisir quelqu’un qui n’est pas de chez soi. Est-ce qu’on ne fait pas des tas de problèmes de rien du tout? Et en mettant le doigt sur les particularités, cela permet à d’autres de prendre une distance par rapport à leurs propres problèmes. Alors, ils peuvent peut-être mieux comprendre les choses. Je sais qu’il y a eu des filles qui sont venues me voir pour me remercier. Elles m’ont dit: « Maman ne voulait pas que je me marie avec le garçon que j’aime. Mais si la mère de Samia a accepté, la mienne peut y arriver aussi. »
Quand je parle de l’infertilité, quand cela fait des années qu’on essaie d’avoir un enfant et que les gens ne vous laissent pas tranquilles dès la première semaine!« Alors, ça y est, tu es enceinte ? »Et qu’ils se permettent d’entrer dans vos vies sans y avoir été invité, cela permet aux téléspectateurs de prendre conscience de l’ampleur de la situation.
Quelle est la perception des téléspectateurs quand ils viennent voir vos spectacles?
En général cela se passe bien, ils apprécient. Ils disent que j’ai un humour qui n’est pas typiquement féminin. Parce qu’ils pensent au départ que je vais parler des histoires de femmes ; alors que ce sont des histoires de vies que je raconte.
Quel est votre challenge, car pour chaque artiste il y a un challenge à relever?
Mon challenge à moi, c’est de réussir à accomplir quelque chose dans le pays de mes racines, en Tunisie. En fait, comme je suis née en France et que j’ai grandi là-bas, cela a toujours été difficile de se faire accepter dans le pays d’où l’on vient. Pour chacun de mes pays, je ne suis pas d’ici. Alors, mon rêve est qu’un jour je fasse carrière en Tunisie.Parce que j’ai le visage de tout le monde et je peux jouer n’importe quel rôle, que ce soit à la télévision ou autre.
En France, le problème se pose. En effet, je ferai toujours le rôle de Fatima, la voilée qui est mariée avec son cousin de force. Les gens fonctionnent malheureusement avec des clichés. Et si on vous invite à jouer un rôle c’est toujours celui dans lequel on vous imagine et qui ne correspond pas à la réalité. Tant que la France n’a pas avancé là-dessus, je me dis que dans le pays de mes racines, je peux faire beaucoup plus.
Mon rêve, mon challenge, c’est ici. Quand je joue devant les TUNISIENS, j’ai plus de trac que quand je joue en France ou dans un autre pays. J’ai encore plus la boule au ventre quand je joue devant les gens de chez moi, car je joue devant ma famille.
Et du coup le challenge c’est d’établir une carrière ici quand beaucoup d’artistes tunisiens rêvent de faire carrière en France. Moi c’est tout le contraire. J’ai envie de venir ici jouer dans des films, dans des séries, de réussir à me faire une place ici.
Des films en dialecte tunisien?
Oui j’en rêve, de perfectionner mon arabe car chaque fois je viens ici j’apprends un peu plus.
Que pensez-vous du public tunisien?
Le public tunisien est extraordinaire. C’est un public qui se déplace pour me voir Je me dis toujours “tanbir” et “tema93ir”.Les Tunisiens transforment tout en rire. Et c’est une très belle qualité publique. Je sais donc que dans la salle il y a énormément de rire et de l’énergie. Il y a aussi beaucoup d’amour quand je marche dans les rues en Tunisie. Je rencontre toujours des gens qui me disent “mahlek” et que des mots gentils. Peut-être parce que ma spontanéité ressemble beaucoup à celle des enfants. Et c’est peut-être comme cela qu’on me considère ; comme une petite fille quand ils viennent me pincer les joues. Les Tunisiens sont bienveillants et remplis d’amour.
Une question pour la fin, quelle est votre devise?
Comme disait Boris Vian :« L’humour est la politesse du désespoir ».Je pense que derrière tout humoriste se cache quelqu’un de très triste. Quelqu’un qui n’a pas envie de sombrer dans la tristesse. Alors la seule alternative qu’il ait trouvé, c’est de rire de tout ce qui lui fait mal. Et moi ma devise est que :« Chaque jour il faut rire au maximum et faire sourire autour de moi. »Parce que sans le rire, on devient fou et on meurt.