leconomistemaghrébin.com livre la primeur de la sortie d’un livre qui est en librairie le 31 août.
Voici une lecture critique consacrée à « Un printemps sans le peuple, une histoire arabe usurpée » de Saber Mansouri, né à Nefza en 1971, et qui sort en même temps en France, en Suisse, en Belgique, au Canada et en Tunisie.
Essayiste, notamment avec « La France est à refaire » l’an dernier et romancier, vainqueur en particulier du Comar d’Or 2014 avec son roman « Je suis né huit fois », l’auteur publie ainsi un essai à rebours et au cœur de l’histoire de la Tunisie où, note l’éditeur, après avoir vécu longtemps sous l’autoritarisme contre le peule, les Tunisiens découvrent la démocratie sans le citoyen.
Saber Mansouri écrit à la manière de nos mères tissant le tapis familial, à l’écart, loin de la guerre des hommes, des intellectuels et des concepts faisant leurs querelles au réel. Son introduction est à cet égard redoutablement concrète.
Il entend, calmement, prendre volontiers le contrepied de qui s’est dit et se dit encore sur le printemps arabe. Et pour cause, la révolution du jasmin de janvier 2011, en plein hiver, cela a-t-il un sens? Non. Pas davantage le fait de parler de l’hiver islamiste consécutivement aux prises de pouvoir ultérieures, en Tunisie et en Egypte, par les extrémistes religieux.
Penser sous le déluge
Tunisien vivant et enseignant à Paris, M. Mansouri, dont le style d’essai a évolué vers l’effacement des injonctions qui ne sont cependant pas des imprécations, estime à juste titre qu’il faut s’affranchir : « penser par soi-même, posséder son propre langage, ses concepts et sa propre pensée pour dire les siens, son propre peuple ».
Et de citer le poète portugais Pessoa : « Penser gène autant que marcher sous la pluie ». Et ce, pour lui faire écho : « Moi, je préfère penser sous le déluge, sans souliers, en écoutant les mots et les maux arabes, les fils et les couleurs de l’histoire de ce tapis qui se déplie pour nous donner à voir la filiation entre le XXIème et le XIXème siècle, l’harmonie parfaite, le dialogue entre deux temps arabes pas si différents ».
La preuve vient par exemple en tissant un lien, certes ténu, entre le nom d’Ennahdha, le parti islamiste tunisien, et son équivalent, la Renaissance, autrement dit le mouvement intellectuel arabe né au XIXème siècle et qui s’inspirera notamment de Montesquieu en aspirant à emprunter les clés de la modernité européenne pour s’ouvrir des perspectives de sortie de la sclérose conduisant au colonialisme.
Cheminer du présent au passé
Mais la relation de ce « Printemps sans le peule », qui est sous-titré « une histoire arabe usurpée », n’est point chronologique. En effet, « partir du temps présent pour raconter le passé, tel est le chemin emprunté ». Et cela « avec une attention particulière aux mots, ceux racontant l’événement, la réalité et les faits, et les autres, qui déforment et représentent la réalité arabe », précise-t-il.
C’est cette démarche qui est adoptée, en particulier dans le chapitre consacré aux « faits, mots et petite mythologie » de Habib Bouguiba, un chapitre qui éclaire bien la manière de voir de M. Mansouri.
C’est ainsi que, plutôt que de s’intéresser à l’œuvre connu du personnage historique, le livre le fait par le truchement du bombardement français, avec du matériel américain, sur Sakiet Sidi Youssef, le 8 février 1958, et les soldats de l’Armée algérienne de libération (ALN) dont la présence massive dans ce village inquiétait au plus haut point le chef de l’Etat tunisien. L’inscription de la Tunisie dans un monde libéral, pour ne pas dire atlantiste, fera que les Etats-Unis appuieront Bourguiba contre la France.
M. Mansouri fait également un détour par l’assassinat de Salah Ben Youssef, originaire de Djerba et principal concurrent de Bourguiba, qui se forge ainsi un destin d’unique leader, avec l’assentiment de Paris et de Washington.
Le lien avec aujourd’hui? C’est que, à force de privilégier l’Est du pays, région natale du Combattant suprême, la fracture s’est accentuée avec l’Ouest et le Sud. Ce que la révolution qui a fait chuter Ben Ali révèlera aux yeux du monde entier. Notamment par l’étincelle du marchand ambulant Bouazizi s’immolant par le feu après les injustices, par lui subies, emblématiquement.
A distance de la lobotomisation de masse
A rebours de l’actualité, mais en relisant et reliant les faits anciens à ce « spectacle (démocratique) permanent auquel le peuple n’est pas convié ». « Un printemps sans le peuple » dédie néanmoins un bref chapitre à l’actuel président. Kaïs Saïed y est invité à entendre que « le peuple veut » qu’il « agisse, (et) cesse de parler ».
A distance des actualités qui assènent des expressions de lobotomisation (Une révolution arabe ! Une renaissance arabe ! Un Printemps arabe !), muni de son récit alimenté aux meilleures sources, M. Mansouri, formé notamment à la lecture de Thucydide, préfère, de son côté, continuer à « marcher sous un orage de mer breton annonçant quarante jours de pluie plutôt que d’entendre (les) mots hollywoodiens, assis, à l’abri, au sec ». Le tout en conjurant par « une émancipation » cette adversité langagière.
D’ailleurs, conclut-il, « un Printemps arabe sans le Yémen, le Liban, la Syrie, la Palestine, la Libye, le Maroc, la Jordanie, l’Arabie saoudite et les autres royaumes du Golfe n’en est pas un ». D’autant que, pour l’instant, malgré tout, et comme le résume Ibn Khaldûn, cité en exergue, partout « l’injustice ravage la cité ».