En principe, les partis politiques ne sont pas autorisés à participer au prochain scrutin législatif. Toutefois, ils peuvent participer aux campagnes électorales de leurs candidats qui postuleront « à titre personnel ». Dixit Mohamed Tlili Mansri, le porte-parole de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Allez comprendre quelque chose!
C’est à y perdre son latin. Eu égard au boycott massif des partis de l’opposition, notamment du PDL et du mouvement Ennahdha, c’était au tour d’Al Massar d’annoncer dimanche dernier qu’il compte boycotter les élections législatives du 17 décembre 2022.
Contradictions
Alors, puisque la quasi-totalité des partis politiques– à l’exception du mouvement Echaab et de quelques petites formations qui n’existent réellement que sur le papier- sera écartée du jeu politique; n’y a-t-il pas un risque réel que la future Assemblée ne soit au mieux qu’un Parlement fantoche entièrement acquis à la cause du président de la République. Et ce, depuis la promulgation le 15 septembre dernier du décret présidentiel n° 55 relatif à l’amendement de la loi électorale?
De même, n’y a-t-il pas une contradiction à ce que les partis politiques ne soient pas autorisés, d’une part, à participer au prochain scrutin législatif; tout en étant, d’autre part, autorisés à « déléguer » des candidats à se présenter, « à titre personnel » et à participer aux campagnes électorales sous leur bannière?
Autant d’interrogations légitimes en l’absence de réponse officielle. A quelques jours de l’ouverture des candidatures pour le Parlement du 17 au 24 octobre. Et ce, conformément au calendrier électoral publié par l’ISIE.
Le oui, mais de l’ISIE
Et ce ne sont pas les soi-disant précisions alambiquées présentées jeudi dernier par le porte-parole de l’ISIE qui vont éclairer nos lanternes.
Ainsi, Mohamed Tlili Mansri avait déclaré textuellement, lundi 3 octobre 2022 sur les ondes de Shems FM, que « le système de vote se base sur les personnes et non sur des partis ». Ceci-dit « les candidats peuvent faire campagne sous l’étiquette d’un parti. Mais les partis ne se présenteront pas ». Expliquant au passage « que rien » n’empêche qu’un candidat puisse appartenir à un parti.
Bref, « les partis n’ont le droit de se présenter qu’à travers des candidats, sans pour autant participer à la campagne électorale »; Ainsi concluait-il au terme d’une logique dont il est le seul à tenir les deux bouts.
Qu’à cela ne tienne. Si l’on suivait le cheminement intellectuel du porte-parole de l’ISIE, les partis politiques n’auraient pas le droit de mener de campagne électorale. Par contre, « les candidats peuvent mener des campagnes électorales en tant que membres de ces formations politiques. Et ce, dans une période bien précise, c’est-à-dire entre le 25 novembre et le 15 décembre. De même qu’ils seront traités par l’ISIE en tant que personnes et non en tant que représentants de partis politiques ». C’est encore ce qu’a affirmé Mohamed Tlili Mansri, lundi 3 octobre 2022, dans une deuxième déclaration à la TAP.
Deuxième aberration: « Ces mêmes candidats aux législatives ont le droit d’utiliser les logos officiels des partis politiques durant la campagne électorale », ajoute le membre de l’ISIE.
Une arme à double tranchant
De même, les candidats aux législatives en tant que membres de partis politiques, ne pourront pas bénéficier du financement octroyé par les partis et les associations. Expliquant que le décret-loi n°55 stipule que « seules des personnes physiques peuvent financer les candidats ». Et ce, dans le souci de protéger la vie politique du financement corrompu de la part des partis politiques et des associations ».
Louable initiative, mais qu’est ce qui empêcherait l’argent sale de financer la campane électorale d’un candidat via une personne physique, un contrebandier ou un riche homme d’affaires à titre d’exemple?
Le porte-parole de l’ISIE a également précisé que la nouvelle Loi électorale impose que tous les rapports relatifs aux financements étrangers ou venus de l’étranger soient communiqués aux services de l’instance. Affirmant que cette même loi prévoit des sanctions pécuniaires et des peines de prison pour les auteurs de délits financiers pendant le processus électoral.
Reculade présidentielle
Alors, comment interpréter la contradiction flagrante entre la volonté manifeste du président de la République, Kaïs Saïed d’écarter de facto les formations politiques- même celles qui le soutiennent publiquement- de l’échiquier politique, et entre la porte entrouverte de l’ISIE? Laquelle, par la voix de son porte-parole, veut nous convaincre qu’alors même que les partis politiques n’ont pas le droit de participer au futur scrutin législatif, rien n’empêche un candidat lambda de mener campagne électorale sous l’étendard et le programme d’une formation politique? N’est-ce pas entrer par une porte pour sortir par la fenêtre selon le délicieux dicton tunisien?
La vérité, c’est que la reculade présidentielle est destinée à amadouer les capitales étrangères. En effet, Washington et l’Union européenne en tête appellent à un scrutin « inclusif » où les corps intermédiaires seront représentés. Ainsi, le Président a consenti à lâcher du lest en intégrant, par le biais de l’ISIE, les seconds couteaux des partis politiques qu’il honnit tant. Et le tour est joué.