Il s’agit certes d’une bouffée d’oxygène. Mais, le montant de 1,9 milliard de dollars est-il suffisant et la Tunisie est-elle en mesure de tenir ses promesses concernant les réformes à entreprendre ? Analyse.
C’est incontestablement une bouffée d’oxygène en ces moments difficiles. L’économie tunisienne respire ainsi mieux depuis l’annonce, le samedi 15 octobre 2022, jour de fête nationale, par le Fonds Monétaire International (FMI). Un accord « pour soutenir les politiques économiques de la Tunisie de 48 mois au titre du Mécanisme élargi de crédit (FLP) d’environ 1,9 milliard de dollars » (environ 6,2 millions de dinars). Un accord qui peut constituer du reste un sésame étant donné que de nombreuses parties –et l’ont dit- vont reconsidérer leurs rapports –financiers- avec la Tunisie à sa lumière.
Certes, mais sans jouer aux trouble-fêtes, ni encore aux Cassandres, il faudra s’interroger sur la portée de cet accord. Trois questions peuvent, à chaud, et attendant donc plus de développements, être posées le concernant. Premièrement, et malgré le soulagement qu’il apporte aux finances d’un pays –le notre- englué dans une crise financière qui ne cesse de le fragiliser, ce montant de 1,9 million de dollars est-il suffisant ? On sait que la Tunisie réclamait le double.
Un accord à portée politique
Le FMI a semble-t-il, coupé la poire en deux. Une manière d’opérer qui fait que sans être une mauvaise action, le prêt du FMI ne peut que nous interpeller sur le fait que cette institution, née des accords de Breton Woods, attend de voir si le pays va suivre la voie promise. Pour certains, l’accord a une certaine portée politique. Les USA (à eux seuls plus de 16 % des voix) –et pas seulement- sont intervenus pour éviter le pire. Comprenez une situation économique, dont les signes sont apparents- pour éviter de déstabiliser le pays.
Et de ce côté des choses, ce que la Tunisie devra entreprendre, n’est ni peu, ni encore facile. Il suffit pour cela de bien lire le communiqué publié par le FMI : éthique fiscale, éliminer les subventions, réforme des entreprises publiques, renforcer la gouvernance et la transparence du secteur public, promouvoir les énergies renouvelables, … Autant dire des chantiers colossaux. Sans cesse retardés.
Une administration mal outillée
Deuxièmement, et c’est sans doute le plus important, la Tunisie a-t-elle les moyens, pour ainsi dire, de ses promesses ? Pour répondre à cette question deux éléments ne doivent pas être occultés. D’abord, les freins structurels. Dont un service public qui ne peut être que l’acteur principal des actions et réformes à entreprendre. Les réformes seront à la charge d’une administration qui a perdu ces dernières années notamment beaucoup de ses cadres, qui est à court d’idées, qui a pris de surcroît de mauvaises habitudes et qui est, encore, mal outillée. Comment opéra-telle concernant la levée des subventions, par exemple, facile à dire et difficile à mettre en place.
Ensuite, la réaction des partenaires sociaux ; à commencer par l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT). Son secrétaire général, Noureddine Taboubi, qui ne cesse d’élever le ton, a dit, début octobre 2022, que les engagements du gouvernement à l’endroit du FMI « n’engage que lui » ! La principale centrale syndicale lâchera-t-elle du lest et se rendra-t-elle à l’évidence concernant des questions délicates et brûlantes comme la réforme des entreprises publiques, son principal bastion, comme le disent certains ?
Ressentiment
Troisième élément : l’accord du FMI intervient alors que le pays vit à l’heure de la division et de la discorde. Loin s’en faut ! Cela dit, et sans trop rentrer dans des considérations d’ordre scientifiques, on sait que, comme le dit Colin Hay, Professeur de sciences politiques au Centre d’études européennes et de politique comparée, « l’économie est essentiellement politique » et que de ce fait « le postulat de l’interdépendance entre ces deux domaines est indispensable pour comprendre l’économie » (voir Dictionnaire d’économie politique : Capitalisme, institutions, pouvoir,Paris, Les Presses de Sciences Po, série : « Références », 2018).
Or, le pays est largement mis à mal de ce côté. Nous l’avons vu, à l’occasion de la célébration de la fête de l’évacuation, le 15 octobre 2022, le camp présidentiel et ses adversaires campent sur leurs positions. Certains peuvent peut-être croire que tout rentrera dans l’ordre après le 17 décembre 2022 ? Donc dans l’après rendez-vous électoral. ! Rien ne peut le dire. Il est même à craindre que les adversités ne se tairont pas après ce rendez-vous. Bien au contraire. Le ressentiment, qui ne peut servir les réformes, pourrait être encore plus difficile à gérer.