La prise de position de la diplomatie tunisienne vis-à-vis de la décision de l’Arabie saoudite de réduire la production de deux millions de barils par jour contribuant ainsi à la hausse de ses tarifs sur les marchés mondiaux, est-elle désintéressée? Il est permis d’en douter, et pour cause.
C’est regrettable. La diplomatie tunisienne semble s’éloigner de plus en plus de sa ligne constante de neutralité traditionnelle, mais agissante. Ainsi, il y a à peine une semaine, la Tunisie votait en faveur de la résolution de l’Assemblée Générale des Nations-Unies. Laquelle condamnait l’annexion par la Russie de quatre régions ukrainiennes. Le lendemain, troublante coïncidence, Washington décidait de nous accorder une aide urgente de 60 millions de dollars.
La position de Ryadh est « pertinente »
Autre étrange prise de position, mais cette fois sur une autre affaire. Le ministère des Affaires étrangères vient de qualifier la position de l’Arabie saoudite quant à la décision de l’OPEP portant réduction de la production de deux millions de barils par jour, à partir du 1er novembre 2022, de « pertinente ».
En effet, dans un communiqué publié mardi 18 octobre 2022, le département des Affaires étrangères indique que cette décision, prise à l’unanimité par tous les États membres du groupe OPEP+, « tient compte du maintien de l’équilibre de l’offre et de la demande, sur le marché international ». « Cette instabilité pourrait avoir des répercussions sur les pays producteurs, exportateurs et consommateurs », ajoute la même source.
Stupeur
Stupeur et consternation en Tunisie. Après cette prise de position, alors qu’un minimum de sagesse lui indiquait de s’abstenir, la Tunisie vient d’apporter hier mercredi son soutien à la décision de l’Arabie saoudite de réduire drastiquement la production de pétrole. Pour, en apparence, maintenir les prix de l’or noir. Alors qu’en vérité cette mesure tend à augmenter le coût du brut sur le marché mondial. Une décision prise par l’OPEP, dont l’Arabie saoudite est le chef de file, qui réconforte la Russie et provoque l’ire des Etats-Unis.
Le courroux des Américains
En effet, l’administration américaine qui fait face à une insoutenable inflation et qui a été contrainte de puiser dans ses réserves stratégique en hydrocarbures, s’oppose mordicus à la réduction de la production. Le président américain Joe Biden ayant même menacé de réévaluer les relations bilatérales avec l’Arabie saoudite. Tout en confirmant qu’il y aurait des « conséquences » à cette décision du royaume.
Du côté du Congrès américain, des parlementaires démocrates ont aussitôt réclamé un gel des ventes massives d’armement à l’Arabie saoudite. Laquelle se situe parmi les plus importantes bénéficiaires de l’aide militaire américaine dans le monde.
Sur un autre plan, les Américains reprochent aux Saoudiens de fournir de l’aide à la Russie. Et ce, en décidant avec l’Opep+ de réduire la production, donc de ce fait soutenir les prix du brut. Ce qui renflouerait les caisses de Moscou dans sa guerre en Ukraine.
Suicidaire
Alors, n’est-il pas évident que le soutien de notre pays à la décision de Ryadh n’est pas pour plaire à nos principaux partenaires et bailleurs de fonds? Au moment même où le gouvernement est en pleines négociations avec le FMI, s’agissant de l’octroi d’un prêt à la Tunisie? Est-il judicieux de se mettre à dos les Américains? C’est stupide, contreproductif et surtout suicidaire!
De plus, faut-il rappeler à ce propos que chaque augmentation d’un dollar du prix du baril coûte au budget de l’Etat environ 140 millions de dinars par an? Alors pourquoi notre pays s’immisce-t-il dans une affaire qui ne nous concerne guère.
D’abord, parce qu’il s’agit d’un duel géostratégique de Titans entre Washington et Ryadh. Ensuite, notre pays n’est ni un producteur majeur de pétrole, loin de là, ni même membre de l’OPEP. Enfin, nous n’avons rien à gagner, à contrario tout à perdre.
Coup de poker
A moins que la Tunisie ne joue désormais la carte des pays du Golfe, notamment du royaume wahabite. Lesquels, grâce à la hausse du prix de pétrole, sont actuellement en train de toucher un substantiel pactole.
D’autant plus que le récent accord de principe passé avec le FMI pour un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars, même s’il lui ouvre de prometteuses perspectives à d’autres financements multilatéraux et bilatéraux, ne saurait à lui seul résoudre tous les problèmes économiques et financiers de la Tunisie. Loin s’en faut.
Bref, ce soutien tapageur, à la limite du mauvais goût, aux Saoudiens, n’est-il pas en rapport avec la vague promesse de prêt de 500 millions de dollars, une fois la garantie de l’institution de Bretton Woods acquise?