Trop peu et trop tard, pour les uns, nécessaire mais pas suffisant pour les autres qui se rallient à ceux qui y voient le verre à moitié plein, quand d’autres pointent du doigt la partie désespérément vide. On l’aura compris, c’est de l’accord préliminaire du FMI qu’il s’agit. Entre bouffée d’oxygène et simple goutte d’eau dans l’océan de nos besoins de financement, les avis sont trop partagés. Où est la place de la science dans ce débat ? Si notre capacité de compréhension des véritables enjeux de l’accord préalable du FMI est à ce point controversée, il est à craindre que la part émotionnelle de cet accord prendra le dessus au détriment de la raison. Et c’est précisément pour ne pas perdre le fil de la raison, pour mieux nous situer dans notre contexte géo-politico-économique, pour décrypter à la fois la signification et la portée de cet accord que nous avons interrogé Aram Belhadj, enseignant distingué et économiste de renom, dont les analyses font autorité dans l’univers universitaire et chez les professionnels. Calmement, doctement, sans parti pris, mais avec beaucoup d’engagement, il répond sans la moindre hésitation à toutes nos questions. Interview
Dix-huit mois de négociation avec le FMI pour aboutir à un accord à minima : 1,9 milliard de dollars. Est-ce à dire que nous avons perdu beaucoup de temps pour convaincre de notre volonté et de notre capacité de réformes ?
C’est un peu ça. Il ne faut pas oublier que le programme a été mis en avant depuis le gouvernement Mechichi. Les négociations ont certes avancé à un rythme ralenti, mais tout a basculé le 25 juillet 2021. La réunion de tous les pouvoirs entre les mains du Président a poussé le FMI à prendre un temps d’arrêt. La distribution de nouvelles cartes et la formation du nouveau gouvernement (qui a repris le programme du gouvernement sortant, en rajoutant quelques éléments) ont fait que les négociations ont pris du temps pour aboutir.
Il faut rappeler ici que le FMI, dans son rapport sur les perspectives de l’économie mondiale en avril dernier, avait déclassé la Tunisie et n’avait pas publié les projections relatives aux fondamentaux de l’économie de notre pays pour 2023-2027.
Ce rapport a évoqué que la Tunisie était en cours de discussion technique, ce qui a poussé plusieurs experts et acteurs de la société civile à considérer (à cette date) que le programme n’était pas convaincant.
Le FMI a semblé ensuite comprendre que le contenu du programme de réformes était, certes, important, mais que la particularité de la situation actuelle, marquée par une perturbation du climat géostratégique mondial, une flambée des prix sur les marchés internationaux et la fragilité du climat social en Tunisie, nécessitait un appui indéfectible en faveur d’un pays en transition démocratique.
Maintenant que ce programme est apprécié par les plus hauts responsables de l’institution de Bretton Woods, il faut une communication autour de ce dernier pour convaincre les parties prenantes, et surtout le peuple, de son contenu et de son mode opératoire.
1,9 milliard de dollars sur 4 ans, étalé en 8 tranches de 240 millions de dollars chacune, avec un taux assez élevé de 4,2%, n’est-ce pas trop peu – même s’il est bon à prendre – au regard de nos besoins de financement ? Diriez-vous que l’essentiel est ailleurs dès lors que cet accord sonne comme un électrochoc, un catalyseur pour engager les nécessaires réformes structurelles ?
A mon sens, il ne faut pas crier victoire très rapidement et, en même temps, il ne faut pas sous-estimer le travail qui a été fait jusqu’à maintenant. Je dis cela parce que j’ai constaté que les avis étaient bipolaires : il y a ceux qui considèrent que cet accord est le remède contre les maux de l’économie tunisienne d’un côté, et ceux qui estiment que rien ne va changer et que celui-ci rendra la donne plus complexe, avec une conditionnalité plus agaçante, un endettement plus accablant et une dépendance plus pesante.
Visiblement, ceux qui sont très optimistes oublient que l’accord en soi (le mécanisme élargi du crédit ou encore EFF) a été créé pour apporter un concours à des pays qui sont aux prises avec de graves déséquilibres de paiement en raison d’obstacles structurels, ou d’une croissance lente et d’une position de la balance des paiements intrinsèquement fragile.
C’est pour dire ici que les problèmes de la Tunisie sont beaucoup plus profonds et qu’il va falloir travailler à bras le corps sur les réformes douloureuses, souvent budgétivores, et que donc, les 1.9 milliard de $ accordés ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan. Par contre, ceux qui sont très pessimistes omettent que, dans ce moment très particulier de l’histoire économique de la Tunisie, le passage par le FMI est un mal nécessaire.
Beaucoup de partenaires bilatéraux et multilatéraux attendent déjà le feu vert de l’institution de Bretton Woods pour débloquer des montants non anodins au profit de notre pays. Et puis, d’autres signaux positifs peuvent émerger au fur et à mesure. Déjà, l’annonce de cet accord a constitué un point d’inflexion dans le spread du risque des obligations tunisiennes de 5 ans libellées en dollar. En plus, il est probable que les agences de notation révisent leurs perspectives pour notre pays.
Tout ça pour dire qu’effectivement, cet accord pourra être un point de départ pour mobiliser les ressources nécessaires et mettre l’économie sur les bons rails. Tout dépendra de nous et de notre capacité à capitaliser sur le peu de confiance qui est en train de se nouer chez les partenaires économiques et financiers.
D’ici l’accord final, qui sera acté et validé par le Conseil d’administration au mois de décembre, peut-on déduire que le pays sera mis à l’épreuve et au défi d’amorcer son plan de réformes sur lequel il s’est engagé ?
La partie est-elle gagnée pour autant ? Rien n’est gagné d’avance. Et pour cause. Entre l’accord préalable et la validation du Conseil d’administration du FMI, il y a du chemin à parcourir. Le Liban par exemple a réussi à décrocher le Staff Level Agreement en avril dernier, alors que rien n’a été fait depuis.
Les services du FMI se sont même montrés très sévères en dénonçant une « fainéantise » et un « laxisme » des responsables libanais envers l’avancement des réformes. Il va sans dire que notre bailleur attendra quelques signes de bonne volonté, avant de valider le dossier.
Concrètement, il s’agit de deux ou trois mesures à prendre par nos responsables, qui sont considérées par le FMI comme indispensables, pour initier un rétablissement des équilibres macroéconomiques : augmentation du taux directeur, ajustement (à la hausse) du prix des hydrocarbures, consensus tripartite autour du dossier des entreprises publiques, révision du régime forfaitaire, etc.
(L’intégralité de l’interview est disponible dans le N° 855 de l’Economiste Maghrébin du 26 octobre au 9 novembre 2022 )