Tout d’abord, l’équipe nationale de football qui joue la coupe du monde au Qatar, constitue actuellement le seul espoir qui unit tous les Tunisiens sans distinction de sexe, d’âge, de profession, d’obédience idéologique ou religieuse. Seul espoir, que la politique et ses conséquences désastreuses sur l’économie du pays n’ont pas ruiné. Pourtant l’on sait qu’elle n’arrivera jamais à gagner la Coupe du monde. Mais elle exprime magistralement le sentiment d’appartenance à une même nation. Une nation, ni musulmane, ni arabe, mais totalement tunisienne.
La ferveur et l’enthousiasme des Tunisiennes et des Tunisiens et l’engouement soudain de toute une population, même ceux qui ne sont pas férus de sport, prouvent que la fibre nationaliste est profondément enracinée dans notre inconscient collectif. L’équipe nationale de football en reste le principal ciment. Qu’elle gagne ou qu’elle perde, qu’elle remporte un match ou qu’elle le rate, elle reste notre principal porte-drapeau, en l’absence d’autres symboles unificateurs.
L’équipe nationale est désormais notre grand, véritable et seul parti politique national. Nos joueurs d’antan et d’aujourd’hui sont aussi devenus les icônes d’une nation en pleine construction. Ils sont les idoles, de millions de femmes et d’hommes, des jeunes et des vieillards, d’enfants et d’adolescents, des patrons et d’ouvriers, de médecins et des garçons de café. Et nous avons plus que jamais besoin d’eux pour consolider les bases d’un Etat moderne et prospère.
La Coupe du monde de football contre les élections
Les têtes pensantes qui conseillent le Président de la République n’ont certainement pas pensé à la Coupe du monde lorsqu’ils ont décidé l’agenda et la date des élections législatives. Ils voulaient certainement les faire apparaître comme un évènement majeur. La Coupe du monde et surtout la présence de l’équipe nationale, vont lui ravir la vedette, déjà que la campagne électorale promet d’être terne, extrêmement terne!
Ainsi, pendant les semaines à venir, il n’y aura de place dans le cœur et la pensée des Tunisiens que pour ce formidable évènement qui monopolise l’attention de milliards de gens. Du coup, ils oublient même momentanément, les malheurs qui frappent le monde, les guerres, dont principalement celle qui se déroule en plein cœur de l’Europe, en Ukraine pour le moment mais qui risque de gagner d’autres pays européens, les famines et autres épidémies qui menacent principalement l’Afrique, le terrorisme, les massacres, la répression en Iran. Et tout cela après trois ans d’une épidémie qui a fait quelques centaines de milliers de morts. Ne serait-ce que pour cela, la coupe du monde est un évènement politique mondial, vecteur de paix et de bien être, délivrant un grand message de fraternité et nous livrant à domicile un merveilleux spectacle durant plusieurs semaines.
Il est presque certain donc que les élections de décembre n’accapareront pas l’attention des médias tunisiens ainsi que des réseaux sociaux. D’autant plus qu’elles ne constituent aucun enjeu majeur. Même les médias publics, qui tenteraient de donner un contenu à cet évènement, auront beaucoup de mal à le faire. Les candidats, pour la plupart, n’ayant aucune envergure nationale et surtout aucun programme qui puisse attirer l’attention des électeurs. Ajoutons à cela, les décisions liberticides prises par l’ISIE, qui laissent planer beaucoup de doutes sur la transparence de ce scrutin, déjà boycotté par les principaux partis politiques, qui le considèrent comme illégal et illégitime.
Les scènes de liesse populaire au stade de Doha, où des milliers de Tunisiennes et de Tunisiens ont manifesté leur joie en soutenant une équipe nationale de football au top de sa forme dans ce premier match contre le Danemark, couronné d’un match nul qui peut être considéré comme une victoire, tant l’équipe adverse est prestigieuse; ainsi que les centaines de milliers, voire même plus, de nos citoyens qui ont envahi les salons de thé et les cafés sans parler de ceux qui ont suivi le match collés à leur écran de télévision, prouvent que les Tunisiens savent être unis!
Les dix ans de divisions idéologiques et politiques, qui ont secoué le pays pendant bientôt douze ans, n’ont pas entamé l’unité de la nation. Sauf que la classe politique, pouvoir et oppositions confondus, ne savent que diviser et ne savent nullement unir nos citoyens, souvent par calculs mesquins et politiciens. Le meilleur exemple à donner est la façon dont le processus de réformes politiques a été mené. Rappelons que jusqu’aux derniers jours, les autorités, qui sont censées veiller à la préparation minutieuse de l’équipe nationale, se sont livré à une guerre sans merci dont le fond est politique, allant jusqu’à faire courir à la Tunisie le risque d’être sanctionnée sévèrement par la Fédération Internationale du Football, et être par conséquent exclue de la Coupe du monde. C’est dire à quel point, les politiques ont fait preuve d’amateurisme et de myopie. Imaginez la catastrophe, non seulement sportive, mais politique pour l’image du pays!
Une coupe politisée, qui divise le monde
Depuis la Grèce antique, le sport est censé échapper aux clivages politiques, qui secouaient le monde. Pourtant avec cette coupe, on a vu comment les clivages politiques se sont fait inviter avec l’exclusion de la Russie par la FIFA, pour cause de guerre en Ukraine. Ce sont les pays, qui prétendent veiller à la non politisation du sport et notamment des grands tournois internationaux, qui ont pris cette décision discriminatoire à l’égard d’une grande nation du football. Il est évident que ce sont les USA, une nation qui n’est en rien une nation du football, qui ont imposé ce choix et que les pays européens ont entériné. Tout cela pour dire que la FIFA n’est plus neutre comme d’ailleurs d’autres institutions culturelles, sportives ou économiques. Les champions de « l’esprit sportif » ont ainsi transformé les compétitions sportives en champ de bataille politique. Le discours politique tenu par le Président de cette instance à l’ouverture, en dépit du message positif qu’il a délivré, est la preuve que la politique internationale est plus que jamais présente dans les grands tournois sportifs.
Même le Qatar, pays organisateur ayant dépensé plus de 200 milliards de dollars, pour créer de fond en comble l’infrastructure sportive la plus moderne que le monde ait connue, associée à des moyens technologiques des plus sophistiquées, essuie actuellement une terrible campagne médiatique mondiale où le vrai et le faux s’entremêlent. Pour la simple raison que c’est un pays arabe qui semble réussir une prouesse. C’est vrai, que c’est un pays qui ne peut être soupçonné de respecter intégralement les principes et les standards mondiaux en matière de droit du travail. Mais l’Europe elle-même n’emploie-t-elle pas des millions de travailleurs clandestins sans aucun droit, sans papiers et sans couverture sociale. Sauf que l’on ne sait pas combien périssent par accident de travail, par malnutrition ou par de simples maladies. C’est vrai que les médias, notamment français, parlent très peu de ce scandale.
Il est certain, comme le prouve l’enquête qu’a menée le site d’investigation Médiapart, que le Qatar n’a eu ce privilège d’accueillir la Coupe du monde que grâce à des pots de vin versés à un ex-président français et sa progéniture. Ainsi d’ailleurs que pour le rachat du club français Paris Saint Germain, qui a été surévalué. Et beaucoup de personnalités politiques et sportives comme l’ex joueur et entraineur de l’équipe de France, Platini, ont certainement reçu d’énormes « compensations » financières. L’enquête suit son cours en France selon le même site électronique, mais il est peu probable qu’elle aboutisse, quant il s’agit d’affaires qui touchent des grosses huiles.
Notons que l’actuel Emir du Qatar, jadis encore prince héritier, est totalement impliqué. Il faut dire que le Qatar arrose toujours non seulement les politiques, mais aussi les médias à grande audience. C’est tout simplement du lobbying, autorisé et encouragé par les lois américaines, mais interdit par les lois françaises. Hypocrisie quand tu nous tiens, le lobbying n’a jamais été aussi répandu dans ce pays que maintenant! Ce qui explique l’acharnement soudain de certains médias français, qui parlent du « vilain petit Qatar ». C’est certainement que certains lobby très puissants en France, et qui travaillent pour d’autres pays, ont décidé de stopper l’influence grandissante de ce petit pays de trois cent mille citoyens et de 900 mille étrangers sur son territoire, et qui est assis sur la première réserve de gaz du monde.
Bien sûr personne ne disait rien lorsque cette même petite principauté finançait le plus grand réseau d’islamistes du monde, les « Frères musulmans » pour renverser les régimes arabes soupçonnés de nationalisme, opération intitulée hypocritement « Le printemps arabe » dont on a vu les résultats catastrophiques, en particulier dans notre pays.
Mais ce qui nous semble plus important que le fabuleux spectacle, c’est la tenue de cette manifestation sportive sur le sol d’un pays moyen-oriental, connu pour être sous la domination du wahhabisme. Un courant religieux des plus rétrogrades et des plus réactionnaires où les femmes particulièrement sont des êtres humains de second ordre.
La présence sur le sol de ce pays, de dizaines de milliers de femmes dans les stades, les hôtels et les bars, sans parler des grandes surfaces, est en soi un signe annonciateur de grands changements culturels et religieux dans cette région et certainement au Qatar même. Ce qui explique la propagande religieuse officielle qui tente de contrebalancer l’effet certainement libérateur sur la jeunesse et les femmes de la région. La présence massive des femmes tunisiennes dans les stades et les spectacles qui se déroulent dans la capitale va à coup sûr avoir un effet de contagion sur les femmes moyen-orientales de la région.
C’est notre façon de faire de la promotion pour notre modèle de société. Seules des Tunisiennes peuvent avoir l’audace d’agir ainsi en pleine zone connue pour son aspect médiéval. Le foot joue donc comme un vecteur d’émancipation idéologique. Et tant mieux! Encore une fois la Tunisie est à l’avant-garde.