En 2020, l’Union pour la Méditerranée (UPM) a décrété officiellement le 28 novembre « Journée de la Méditerranée ». Une journée symbolique pour célébrer « l’héritage commun » et faire face aux « défis communs ». Le premier aspect est à la base d’une identité méditerranéenne commune; tandis que le second est illustré par des enjeux intimement liés : l’eau, l’énergie et le climat.
L’absence d’une langue commune aux peuples du pourtour méditerranéen, la déclinaison d’identités multiples et autres particularismes nationaux et locaux dans la région ne plaident guère en faveur d’une identité commune. Elle devient pourtant concevable et perceptible au terme d’un processus d’hybridation culturelle dont la Méditerranée est l’archétype. Lieu de communication, de contact et d’interpénétration des cultures d’Europe, d’Orient et d’Afrique, la Méditerranée est un « creuset » où se mêlent les influences des grandes civilisations antiques.
Une identité méditerranéenne
L’œuvre de Fernand Braudel dépeint ce monde méditerranéen constitué de contacts entre l’Europe, l’Orient et l’Afrique, reposant à la fois sur un fond commun civilisationnel, et sur les échanges et divers métissages. Cette « unité des profondeurs » (J.-R. Henry, 1991) et, plus largement, l’héritage historico-culturel, la mémoire, le patrimoine, les valeurs et règles de vie, sont le ferment d’une identité méditerranéenne conçue non pas de manière monolithique et figée, mais comme le produit d’interactions continues qui nourrissent un embryon de sentiment d’appartenance.
Aire culturelle spécifique, l’espace méditerranéen n’échappe pas aux effets de la globalisation. Devant l’intensification des flux interculturels et la crainte de subir la domination d’une culture occidentale, les sociétés méditerranéennes ont réagi par un double mouvement : l’ouverture au monde et le repli sur elles-mêmes; l’appartenance à un monde globalisé et la revendication d’identités propres (au niveau étatique ou infra-étatique).
À la fois berceau, carrefour et juxtaposition de civilisations, lieu de naissance et de diffusion des trois grandes religions monothéistes, la Méditerranée conjugue culture et identité au singulier et au pluriel. La notion d’« identité(s) méditerranéenne(s) » consacre cette tension, au sens où elle présume conjointement l’existence d’une identité propre et l’appartenance à une identité commune.
Posée à l’espace méditerranéen, la question identitaire convoque des représentations contradictoires du monde méditerranéen : l’une invoque le rapprochement, le métissage, le brassage des différences susceptibles de dépasser les grandes oppositions et la polarisation persistante d’imaginaires différenciés; l’autre, la séparation et la fragmentation en blocs antagonistes. Cette dernière vision l’emporte aujourd’hui, entretenue par la force et le succès du discours sur le « choc des civilisations », « dans lequel la Méditerranée serait le théâtre privilégié, le cadre spatial et temporel d’une double construction de « méga-identités » imaginaires : un bloc « occidental » défini comme judéo-chrétien et un bloc arabo-musulman ou « oriental » (G. Corm, 2009).
Cette représentation a une portée géopolitique : la montée d’idéologies identitaristes alimente les mécanismes des « conflits identitaires », qui entravent la réalisation de tout idéal d’unité de la Méditerranée et même les simples projets de rapprochement, d’échange et de coopération intra-méditerranéen.
Pour autant, l’on ne saurait analyser des tensions et conflits qu’à travers la seule grille de lecture religieuse ou confessionnelle. Le facteur religieux donne parfois une dimension nouvelle à des fractures profondes (socio-économiques, tribales, etc.) qui refont surface à la faveur de contextes particuliers (défaillance étatique, apparition de zones grises, …).
Ressources et climat : des enjeux communs
Les défis globaux et communs ne manquent pas pour les pays du pourtour méditerranéen : la santé publique et l’explosion urbaine; l’autosuffisance agricole et l’autonomie alimentaire; le développement économique et social; les énergies renouvelables et le développement durable. La rareté et la répartition inégale des ressources naturelles sont sources de tensions géopolitiques dans une région dont l’avenir est directement lié à une meilleure gestion de ces richesses dans un contexte marqué par le dérèglement climatique.
L’eau jouit dans la culture méditerranéenne d’une force symbolique dont témoigne également les techniques et ouvrages hydrauliques créés au fil des siècles. L’accès à l’eau autant que sa qualité sont plus que jamais à l’ordre du jour des sociétés méditerranéennes, celles des rives sud et est étant confrontées à un véritable stress hydrique. À l’inverse, les territoires des pays de la rive sud et est concentrent les gisements d’hydrocarbures.
Or le pétrole comme le gaz naturel sont des richesses paradoxales : vecteurs d’enrichissement, la production et l’exportation du pétrole et du gaz ne sont pas pour autant synonymes d’indépendance, de développement ou de démocratie. C’est aussi un facteur d’interdépendance entre les rives nord et sud. Si le charbon européen a assuré la domination européenne au XIXe siècle, la géologie des pays de la rive nord ne contient pas de ressources énergétiques suffisantes à la satisfaction de leur propre consommation domestique et industrielle. La nécessité des importations les place donc dans une dépendance énergétique relative vis-à-vis des pays producteurs-exportateurs de la rive sud. Ces derniers sont eux-mêmes dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’exportation vers le nord.
Le changement climatique s’est déjà traduit par une hausse du niveau de la mer ainsi que par des sécheresses plus intenses et plus régulières dans le bassin méditerranéen. Celles-ci ont des effets sur l’agriculture et la pêche (diminution des rendements), sur l’attractivité touristique (vagues de chaleur, raréfaction de l’eau), sur les zones côtières et les infrastructures (renforcement de l’érosion et de la salinisation, réduction du volume des nappes phréatiques d’eau douce).
Certes, les sociétés méditerranéennes connaissent une longue tradition d’adaptation aux problèmes liés à la sécheresse, aux variations de température et de précipitations. Il n’empêche, l’accélération du rythme du réchauffement climatique met cette acculturation à rude épreuve : l’augmentation des températures s’accompagne d’épisodes de sécheresse plus étalés dans le temps, d’inondations massives et de crues rapides plus régulières.
Pays riverains de la Méditerranée, les États du Maghreb comme ceux des rives européennes ont une responsabilité particulière dans la préservation de leur environnement face à la croissance démographique et l’urbanisation côtière, à l’industrialisation de l’agriculture (augmentation des surfaces et des intrants chimiques), au développement du tourisme et du trafic maritime. Ces évolutions ont un coût environnemental et sanitaire non négligeable pour le monde méditerranéen. Ces conséquences nourrissent une défiance prononcée, voire une opposition de la part des populations locales concernées, notamment lorsque se profile la perspective d’exploitations de gisements de gaz de schiste.
Le renchérissement des ressources énergétiques fossiles et, pour certains, leur épuisement inéluctable justifient la définition d’un nouveau paradigme axé sur les énergies renouvelables. La Méditerranée est dotée de ressources solaire et éolienne parmi les plus riches du monde. Ses territoires disposent des ressources (territoires et ensoleillement) nécessaires au développement des énergies renouvelables (solaire, éolienne et hydraulique). Outre les considérations liées au développement durable, l’enjeu est de renforcer la sécurité en énergie et en eau en termes de prix et d’approvisionnement.
Si les régions du Moyen-Orient (au sens large) et d’Afrique du Nord tardent à adapter leur politique publique et leurs pratiques domestiques aux nouvelles donnes, elles subiront des pénuries d’eau et une insécurité énergétique sensiblement accrues.