Le moins que l’on puisse dire, c’est que la déprogrammation de la réunion avec les responsables du FMI, au moment même où le président de la République, Kaïs Saïed se trouvait à Washington sur invitation du président des Etats-Unis, Joe Biden, est un geste indélicat, à la limite de l’indécence, doublé d’une douche froide pour l’ensemble des Tunisiens.
En effet, à la surprise générale, la réunion programmée le 19 décembre- qui devait être consacrée par le Conseil d’administration du FMI à l’examen du programme des réformes proposées par le gouvernement tunisien, en vue de l’octroi d’un crédit de 1.9 milliard- a été retirée sine die de l’ordre du jour. Sachant que l’instance financière internationale n’a pas prévu de nouvelle date pour la Tunisie dans la partie publiée de son calendrier.
FMI : troublante déprogrammation
De quoi jeter le trouble en Tunisie et alimenter des interrogations légitimes sur les motifs réels qui seraient à l’origine de cette brutale décision. S’agit-il d’un retard consécutif à l’agenda surchargé de cette instance internationale? Ou d’une forme de rejet, le Conseil d’administration du FMI n’ayant même pas pris la peine d’examiner le dossier tunisien? Angoissante question.
Pourtant, c’était presque dans la poche
Pourtant, le FMI avait annoncé le 15 octobre 2022 « la validation » par ses services techniques de l’accord pour soutenir les politiques économiques de la Tunisie. Et ce, via un accord de 48 mois, au titre du Mécanisme élargi de crédit, d’un montant de 1,9 milliard de dollars américains.
De plus, il y a à peine quatre jours, Marc Gérard, le représentant résident du Fonds Monétaire International (FMI) en Tunisie déclarait textuellement à l’occasion de la 36ème édition des Journées de l’Entreprise que l’accord entre le FMI et la Tunisie « a été scellé grâce à la crédibilité du programme des réformes ». Laissant entendre que la validation de l’accord final par le Conseil d’administration du FMI ne devrait être qu’une simple formalité. Alors qu’y a-t-il de changé depuis?
Jeu d’interprétations
Et les interprétations d’aller bon train. Pour les uns, l’impopularité des réformes dont la levée des subventions sur les matières de base et le risque de privatisation brutale des entreprises publiques passent très mal dans l’opinion publique.
Pour les autres, la discordance manifeste entre Carthage, la Kasbah et la place Mohamed-Ali n’est pas pour rassurer les bailleurs des fonds. Lesquels exigeraient désormais la signature du chef de l’Etat en personne pour l’ensemble des réformes annoncées.
Pour l’économiste Aram Belhadj, la déprogrammation de l’examen du dossier de la Tunisie de l’agenda du FMI est due au fait que le président de la République, actuellement à Washington, n’avait toujours pas ratifié la loi de Finances 2023 et ne l’avait pas encore publiée au Journal officiel.
« La vérité, c’est qu’en dépit des efforts déployés par plusieurs hauts cadres des ministères des Finances et de l’Economie et de la Planification, ce qui se passe ne peut être qualifié que d’absurdité commise par les dirigeants de ce pays ». Ainsi fait-il observer, le 14 décembre, dans une publication sur sa page FB.
Entre désaccords politiques et LF2023 non ratifiée
Revenant sur les circonstances de cette déprogrammation qui restent mystérieuses, Ridha Chkoundali, universitaire et économiste, argue que « la raison majeure derrière cette décision n’est autre que le désaccord entre les acteurs économiques et sociaux en Tunisie autour du contenu du programme de réformes soumis à l’accord des experts du FMI ».
« Les répercussions de ce report seront graves sur l’économie tunisienne. Et elles ne feront que creuser la crise financière que traverse le pays actuellement ».
Toujours selon lui, « l’impact sera direct sur le projet de budget de l’Etat pour l’année 2023 et sur la mobilisation des ressources extérieures nécessaires pour payer des sommes importantes en devises sous forme de dettes extérieures. Ainsi que pour sécuriser l’approvisionnement en matières premières, en médicaments; et éventuellement en équipements nécessaires au bon fonctionnement du processus de production ». Ainsi, avertissait-il, dans une déclaration reprise le 15 décembre par la TAP.
Pour sa part, l’ancien directeur général de la politique monétaire à la Banque centrale de Tunisie, Mohamed Salah Souilem, souligne, dans une intervention téléphonique jeudi 15 décembre 2022, sur Shems FM que les raisons pourraient être multiples. « Est-ce une question de calendrier? On n’en sait rien. Nous sommes en fin d’année et nous n’avons pas encore de Loi de finances ».
La vérité qui dérange
Enfin, il est évident qu’outre les arguments présentés par les uns et les autres pour expliquer la déprogrammation du dossier tunisien, le gouvernement tunisien n’a pas réussi à mobiliser les fonds- notamment ceux des bailleurs de fonds des pays du Golfe- pour accompagner le programme de réformes proposé par le FMI. Tel est le cœur du problème; le reste n’est que supputations et vaines spéculations.