Le développement des énergies renouvelables (EnRs) en Tunisie marque le pas. Les solutions à apporter pour faire face aux obstacles ont été évoquées et discutées, le 24 novembre 2022, à Gammarth (banlieue nord de Tunis), par l’Economic Policy Dialogue (EPD).
L’EPD est un dialogue public-privé organisé à l’initiative du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de la Banque mondiale, à Tunis, aux fi ns de débattre avec des experts nationaux et internationaux des secteurs économiques en difficulté et de proposer des pistes de solutions. Organisé sur le thème «Accélérer l’investissement du secteur privé dans les énergies renouvelables à grande échelle», ce dialogue, auquel ont pris part des représentants de l’administration, des bailleurs de fonds et les principaux acteurs de production d’électricité en Tunisie (STEG, développeurs privés, etc.), a essayé de répondre à trois questions relatives aux barrières spécifiques aux projets renouvelables privés de grande capacité, aux solutions pour l’accélération et la réalisation des projets et aux mécanismes d’incitation.
Des barrières tous azimuts
S’agissant des barrières, le constat est accablant. En matière d’énergies vertes, la Tunisie, dont les importations des énergies fossiles représentent 48% en 2021 du défi cit en énergie primaire contre 7% en 2010, ne semble pas se démener assez pour réduire sa dépendance aux énergies fossiles et à leurs importations en devises.
Plusieurs obstacles ont entravé la mise en oeuvre du programme de production d’énergies renouvelables annoncé par le gouvernement depuis 2017, notamment les projets solaires de 500 MW récemment attribués sous le régime de concession, en raison de la conjoncture mondiale marquée par l’accroissement des prix internationaux des équipements, l’augmentation du coût du transport, l’augmentation des taux d’intérêt internationaux à la suite de la vague inflationniste mondiale, ainsi que des délais d’approbation et d’attribution très longs durant lesquels les termes du marché varient considérablement et de l’adoption par les développeurs de prix très agressifs, qui ont mis en péril la viabilité des projets et entravé leur réalisation.
A l’origine de ce retard, l’absence d’un portage politique continu. Et pour cause, l’instabilité gouvernementale qui a prévalu dans le pays depuis 2011, un cadre réglementaire et contractuel complexe et difficile à appliquer par les investisseurs privés ainsi qu’une résistance au changement dans l’opérationnalisation d’une approche plus ouverte.
A titre d’illustration, le nouveau régime de l’autoproduction paru sous la loi transversale est perçu comme risquant de concurrencer sur le long terme le monopole de distribution de la STEG.
En dépit de la justesse de ces griefs, le risque est de voir la Tunisie aggraver son retard et perdre ainsi des parts d’un marché porteur. Force est de constater que plusieurs pays de l’espace euroméditerranéen, à l’instar du Maroc, de l’Égypte, de Chypre, de la Grèce ou de la France commencent à investir beaucoup dans l’infrastructure (lignes maritimes) pour faciliter l’exportation de l’électricité propre produite au sud vers l’Union européenne.
Il n’en reste pas moins qu’au regard du potentiel dont elle dispose, la Tunisie peut devenir, à moyen terme, un exportateur net d’électricité vers l’Europe, pour peu qu’elle intensifie ses investissements privés dans les énergies renouvelables. L’idéal serait d’explorer, en urgence, des pistes pour établir un climat de confiance permettant d’attirer les investissements privés. Plusieurs recommandations ont été établies à l’issue de la rencontre pour accélérer le développement des projets, notamment ceux sous le régime des concessions, y compris les 1700 MW qui seront bientôt lancés.
Les solutions existent
Institutions efficaces
S’agissant des solutions et des mécanismes à mettre en place pour débloquer la situation, les participants ont recommandé, au plan institutionnel, d’améliorer la gouvernance du secteur à travers le renforcement des capacités de la partie publique et la création d’un guichet unique pour mettre fin à la multiplicité des intervenants (ministère de la Défense, ministère des Finances, ministère des Domaines de l’État, ministère de l’Energie, ministère de l’Agriculture, etc.).
Une réglementation flexible et adaptée
Les participants ont recommandé également d’accélérer la création d’une autorité de régulation indépendante, notamment dans cette phase d’implication du secteur privé dans le développement des énergies renouvelables.
Cette autorité aura pour mission de réglementer les prix et les tarifs conformément à la loi, d’assurer la gestion de l’accès au réseau pour les EnRs, le règlement des litiges et l’arbitrage.
Un pricing juste
Ils ont également proposé d’instituer un régime fiscal et réglementaire clair et incitatif pour les EnRs, de prolonger la durée des contrats, de prévoir un mécanisme de révision des tarifs en cas de bouleversement économique du marché pour les prochains appels d’offres et d’instituer des incitations spécifiques aux promoteurs qui réalisent leurs projets avec plus de célérité.
Gouvernance solide
Certains participants ont suggéré de créer, au sein de la STEG, un département qui sera chargé d’assurer le suivi des projets, d’identifier et de réserver les sites pour les prochaines concessions.
Il a été également demandé le soutien de l’UE pour la réalisation du projet d’interconnexion électrique qui reliera la Tunisie à l’Italie, considéré comme stratégique pour la région en termes d’échange et d’exportation d’électricité renouvelable entre l’Europe et l’Afrique du Nord. Il y a lieu également d’améliorer la performance financière de la STEG en tant qu’acheteur unique en vue de rassurer les investisseurs et les bailleurs quant à sa solvabilité.
Par ailleurs, les participants ont recommandé de renforcer le rôle à jouer par le Fonds de transition énergétique (FTE) en tant que source de financement des infrastructures lourdes, notamment le réseau de transport de l’électricité, pour appuyer le développement des énergies renouvelables.
Au final, l’EPD a suggéré le renforcement de l’appropriation politique à travers l’adoption d’une loi sur la transition énergétique en Tunisie permettant de fixer des objectifs de développement durable clairs. Il faut, à ce titre, mettre en place les conditions favorables pour leur concrétisation, en levant les obstacles qui ont empêché jusqu’ici le développement des EnRs à grande échelle et en assurant la mise en œuvre des recommandations dégagées pour garantir une évolution vers un système énergétique sûr, diversifié et durable.