Le futur Parlement qui sera, de l’avis général, submergé par une déferlante d’élus pro Kaïs Saïed, ne sera pas forcement une chambre de transmission aux ordres et à la botte de Carthage. Analyse.
Fraîchement élu député lors des législatives 2022, l’ancien président de l’Ordre national des avocats de Tunisie, Brahim Bouderbala est un homme pressé. D’ailleurs, il ne dissimule pas son ambition d’être au Perchoir. La direction du Parlement donc, à défaut de figurer au futur gouvernement à la tête d’un ministère régalien. Pourquoi pas le département de la Justice? N’a-t-il pas fait preuve d’une loyauté sans faille envers l’artisan du 25–Juillet, pour ne pas avoir droit à sa part du gâteau?
Un bloc parlementaire sans parti politique?
Déjà, lors de son intervention, jeudi 3 novembre 2022, sur Shems FM, l’ancien bâtonnier des avocats, alors qu’il n’était qu’un simple candidat potentiel, signifiait, par coquetterie, qu’il était « trop tôt pour en parler ». Avant d’avancer que « si la majorité des députés décidait de m’élire pour le poste de président du Parlement, je serais prêt à l’occuper ».
Une fois assuré, dès le premier tour d’un siège au futur Parlement avec 3700 voix et se voyant déjà au Perchoir, Brahim Bouderbala a exprimé son intention de former « le groupe du 25 Juillet ». A savoir un bloc parlementaire qui sera composé de tous les députés qui affichent leur soutien à l’entreprise juilletiste.
En effet, dans son intervention mercredi 21 décembre dans l’émission Sbeh El Ward sur Jawhara FM, M. Bouderbala expliquait que son initiative a pour objectif de rassembler, dans un même bloc parlementaire qui « déterminera la future boussole de la Tunisie », tous ceux qui soutiennent le processus du 25 juillet, dont des personnalités indépendantes et des activistes de la société civile.
Un discours clivant
Revenant sur le chiffre stratosphérique qui avoisine les 90 % de non-participation au scrutin législatif du 17 décembre 2022, de l’avis général un vote-sanction et un camouflet pour le chef de l’Etat, Kaïs Saied, le futur député de circonscription Radès – Megrine, a soutenu, sans rougir, que cela n’a rien changé au niveau de confiance dont il jouit auprès du peuple. Et ce, « en raison de sa sincérité dans ses prises de position; outre le fait qu’il a les mains propres ».
Poussant le bouchon plus loin, l’ancien bâtonnier a qualifié, par analogie, les abstentionnistes de non-patriotes. Il déclare en effet : « Ceux qui sont allés voter étaient conscients de la gravité de la situation du pays et qu’il n’a point d’issue possible que le parachèvement du processus politique ». Et de marteler : « Ces personnes avaient assez de maturité pour comprendre la typologie de la période et avaient un haut sens du patriotisme ».
Hélas, encore un discours clivant qui encense les « patriotes » qui ont pris le chemin des urnes et accable ceux qui ont choisi de s’abstenir. Sachant que l’abstention est également une position politique. C’est à se demander avec angoisse : quelle serait la couleur du futur Parlement si ceux qui soutiennent le processus du 25 juillet étaient majoritaires à l’hémicycle?
D’ailleurs, n’est-il prévu que les partisans du président de la Républiques obtiennent la majorité absolue au palais de Bardo en l’absence des partis politiques. A moins que ces derniers n’aient avancé masqués, en présentant en sous-main leurs propres candidats?
Parlement : bonnet blanc et blanc bonnet
Notons à ce propos que le Harak 25-Juillet, un mouvement pro Kaïs Saïed, revendique l’élection, dès le premier tour, de dix de ses candidats sur la vingtaine des futurs élus. « Le mouvement avait soumis 152 candidats aux législatives et 65 d’entre eux sont passés au deuxième tour, en plus de ceux qui sont passés au premier tour ». C’est ce qu’a annoncé, mercredi 21 décembre 2022, le porte-parole et membre du bureau national du mouvement, Abderrazek Khallouli. ll s’exprimait en ce sens lors d’une conférence de presse tenue à Tunis.
A cette occasion, le porte-parole d’Al Harak a appelé le président de la République à procéder à un remaniement ministériel partiel ou total du gouvernement. Et ce, afin de mettre en place « un gouvernement politisé » et composé « de grandes compétences issues des adhérents du mouvement ».
Dans la foulée, M. Khallouli réclame d’écarter tous les gouverneurs. Afin d’ « avoir une nouvelle bouffée d’oxygène et de nouveaux responsables, suite au choc du taux de participation au premier tour des législatives ». A savoir, que lors de son passage samedi 17 décembres sur les ondes de Mosaïque FM, il a même appelé à « une élection présidentielle anticipée; après avoir enregistré un taux de participation faible aux législatives ».
Bizarre et déconcertant : les revendications exposées par le porte-parole de ce mouvement pro Kaïs Saïed, (élection présidentielle anticipée, remaniement gouvernemental) ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles de l’opposition. Laquelle propose, à la différence d’un gouvernement « politisé », une équipe « d’urgence économique », selon l’expression du président d’Afak Tounes, Fadhel Abdelkef.
N’est-il pas légitime de déduire que le futur Parlement sera plus pluriel qu’on ne le pensait? Car il sera traversé par divers courants politiques. Grâce justement aux voix discordantes des futurs députés, que les partis politiques, indirectement exclus et marginalisés par la loi électorale, réussiront infiltrer en catimini?