2022, annus horribilis. Comment qualifier autrement l’année qui s’achève comme elle a commencé, dans un tonnerre de déflagration politique, de déliquescence économique et de chaos social. L’année qui s’achève aura été paradoxalement celle de tous les excès, de tous les outrages et de toutes les dérives politiques, mais aussi celle des déficits en tout genre, des pénuries, des frustrations et des peurs. Peur que le pays s’embrase et s’entredéchire pour toujours. D’un mot, l’année 2022 fut celle de tous les dangers et de toutes les menaces. Rarement on aura vécu, à la veille du nouvel an, une situation aussi trouble, incertaine et, pour tout dire, aussi explosive.
Division et fragmentation politiques hautement inflammables, fracture sociale irrémédiable, déclin économique structurel, effondrement financier aux issues incertaines, la Tunisie n’a plus, à l’orée de 2023, son destin en main, en dépit des dénégations du président de la République qui, fait inédit, dispose de tous les pouvoirs avec les résultats que l’on sait. Le projet politique qu’il s’obstine à mettre en place, contre vents et marées, bat de l’aile.
Au final, il s’est aliéné une large frange de la population qui ne se reconnaît pas dans ce modèle politique suranné. Et a réussi l’exploit de ressusciter l’islam politique qu’on croyait mort et enterré, emporté qu’il était par ses propres déboires, discrédité et banni à jamais. Le
vent de la contestation politique, sociale et sociétale menace de dégénérer. Un large spectre de l’opposition, certes désunie et divisée mais résolue et déterminée, chacune à sa manière,
le défie ouvertement et conteste son autorité et sa légitimité. Le premier tour des élections législatives confirme les certitudes du Président et les appréhensions de ses opposants et
adversaires. Et jette encore de l’huile sur le feu.
L’apaisement n’est pas pour demain. A l’opposé, le processus politique enclenché par le Président Kaïs Saïed, qui a sa propre cohérence, suscite défiance et désaveu populaires. La greffe politique du Docteur Kaïs Saïed, qui opère à contre-courant de la mondialisation politique et économique, provoque un rejet qui ne semble pas émouvoir son instigateur, qui s’installe dans le déni. Résultat des courses : le pays s’enfonce dans une grave crise politique sans issue. Avec pour corollaires, stagnation sinon recul économique, crise sociale qui n’a d’égale que celle de la dette, et une inflation galopante.
« Résultat des courses : le pays s’enfonce dans une grave crise politique sans issue »
La valse des prix donne le vertige et jette chaque jour dans la pauvreté de nouveaux contingents de retraités et de salariés. L’ennui est que les remèdes proposés à l’emporte-pièce sont pires que le mal. Gare aux conséquences des convulsions sociales, dont il y a lieu de s’inquiéter déjà des premiers symptômes ! Le gouvernement Kaïs Saïed que dirige Mme Bouden fait comme s’il pouvait gouverner autrement et différemment, sans s’exposer au verdict de la réalité. Il ne peut changer les codes de gouvernance politique sans susciter incompréhension et désapprobation.
« La valse des prix donne le vertige et jette chaque jour dans la pauvreté de nouveaux contingents de retraités et de salariés »
Il ne doit pas, sans encourir le risque d’échec, déroger à la sacro-sainte règle qu’est le politique qui doit être aux commandes de l’économique. L’absence de vision politique, de démarche prospective, de volontarisme gouvernemental et d’autorité d’un État de droit, plonge l’économie dans le brouillard, et les entreprises dans un immense trou noir. Elle provoque une panne prolongée, sinon l’arrêt définitif des principaux moteurs de la croissance : investissement, consommation et export. Et fait voler en éclats dialogue national, contrat social et pacte de croissance. Sans compter le triste bilan des dommages collatéraux. A
commencer par le cuisant échec et l’humiliante sanction du FMI en passant, pour ne citer que celle-là, par l’attitude peu amène des agences de notation, véritable baromètre de notre relégation économique et sociale. Ironie du sort, c’est la BCT qui vient de planter le dernier clou dans le cercueil de l’économie nationale, en portant d’un seul coup son taux directeur à 8%. Loin de juguler l’inflation qui n’est pas d’ordre monétaire, elle va provoquer une véritable hécatombe parmi ce qui reste de nos entreprises.
« Ironie du sort, c’est la BCT qui vient de planter le dernier clou dans le cercueil de l’économie nationale, en portant d’un seul coup son taux directeur à 8%. »
L’économie tunisienne en perdition a certes joué de malchance. A peine remise du choc Covid-19 qu’elle subit de plein fouet un second, aux effets tout aussi dévastateurs sur
notre économie, notre balance commerciale et nos finances publiques. La guerre russo-ukrainienne nous a surpris en pleine convalescence, sans que cela nous dédouane pour
autant. On aurait pu et dû en atténuer les effets, si nous n’étions pas empêtrés dans nos contradictions, nos rivalités politiques, au risque de ne pas pouvoir redresser la barre de
la production, tout en laissant dériver le pays au gré d’hypothétiques bailleurs de fonds.
« L’économie tunisienne en perdition a certes joué de malchance »
De tous les chocs intérieurs et extérieurs, le plus grave est celui que ressent le pays à cause de ses divisions, de sa désunion, de ses déchirures et d’affrontements politiques au relent guerrier, qui mettent à chaque instant en péril la paix sociale et la paix civile. La crainte d’un scénario catastrophe aux conséquences incalculables ne relève plus d’une vue de l’esprit ou d’une simple mise en garde. Elle est si probable qu’elle doit provoquer en nous un choc en retour. Et nous ramener à la raison, c’est-à-dire à l’apaisement, à travers une vision partagée de l’intérêt suprême de la nation, du respect des libertés et de nos aspirations démocratiques. Il n’y a pas de place entre la paix civile – et donc le chemin de la prospérité – et le chaos sous toutes ses formes. Face au risque d’implosion du pays et à la montée de la peur, la sagesse et la raison doivent prévaloir. C’est notre vœu le plus cher pour que 2023 rompe avec les déchirures et les stigmates de 2022. Le pire est à craindre, mais l’espoir n’est pas exclu. La peur est, dit-on, bonne conseillère
Editorial paru dans le Mag de l’Economiste Maghrébin N°860 du 4 au 18 janvier 2023