Le monde des médias est confronté à un certain nombre de défis. Les choses ne sont pas comme elles paraissent quand on parle du droit à l’information. Autant de sujets de réflexion sur l’avenir des médias qui nécessitent de faire un diagnostic. Abdelkarim Hizaoui, professeur à IPSI, ancien directeur du CAPJC et chercheur universitaire met l’accent sur l’importance de définir le statut de l’information. Et ce, bien avant de débattre du modèle économique des médias. Interview:
– Comment est perçu le statut de l’information aujourd’hui?
Abdelkarim Hizaoui: Aujourd’hui, le droit de l’information est garanti aussi bien dans la Constitution de 2014 que dans la Constitution de Kaïs Saïed ( 2022). Ce qui fait que le droit du citoyen à l’information implique l’engagement de l’État. Mais depuis 2011, nous sommes partis d’un constat que la liberté de la presse ne conduit pas forcément à la qualité de l’information. Alors que si on défend la liberté de la presse, on défend la liberté d’expression. Car l’intérêt principal est celui d’éclairer le citoyen, comme le dit la formule « la liberté de la presse n’est pas un privilège pour le journaliste, mais un devoir d’informer ». Et ce, à travers des mécanismes de service.
– Quel est donc le diagnostic?
De ce fait, le diagnostic présent nous amène à mentionner que l’Etat ne fait presque rien pour garantir un service minimum en matière de droit du citoyen à l’information. Et parallèlement, l’audiovisuel public se trouve à l’abandon. Autrement dit, l’Etat ne se préoccupe pas de la Haica qui est une institution clé du système médiatique audiovisuel assurant la régulation de l’indépendance audiovisuel en tant qu’acquis majeur de la révolution de 2011.
Promouvoir un audiovisuel de qualité pluraliste et indépendant
Et donc on peut espérer et exiger de cet l’État démocratique pour lequel on a combattu, pour lequel on a voté, de prendre en charge ce droit qui est le droit à l’information. A savoir, promouvoir un audiovisuel de qualité pluraliste et indépendant.
Au-delà du pluralisme des médias, il est nécessaire de développer un environnement juridique favorable dans le secteur de l’information.
A titre d’exemple, il ne faut pas pénaliser les chaînes privées car qu’on le veuille ou non, une bonne partie d’entres elles diffusent des émissions de débat qui ne figurent malheureusement pas dans les médias publics. De ce fait, le système médiatique dans son ensemble aussi bien le secteur public que privé, les deux, assurent chacun à sa manière un service aux citoyens.
Les médias de proximité
Autre élément important, l’information de proximité via les radios associatives dont le nombre dépasse une vingtaine, n’arrivent pas à ce jour à jouer amplement leur rôle de proximité. Traiter les sujets de proximité, on remarque que 95 % de leur contenu est consacré à la musique et le reste à du contenu éditorial. Ceci n’est pas normal.
Plus encore, la plupart de leur financement au départ provenaient de l’étranger. Ce qui sous entend que ce financement étranger est le bienvenu quand il est transparent et garantissant une redevabilité des bénéficiaires. Quant à son délai, il ne doit en aucun cas dépasser trois années. C’est ce qui a été convenu au départ lors de l’accord signé à Paris. Or si ces radios associatives n’arrivent plus à se maintenir en vie, notamment en ne trouvant plus un auditeur à l’écoute, où s’auto-financer? Il faut bien admettre qu’elles ont failli.
Mais si ces radios restent dépendantes de leurs bailleurs de fonds, il est à craindre pour leur indépendance. Car on ignore quel agenda sera mis en place.
Il est à noter que les radios associatives ont bénéficié d’un soutien du programme d’appui PAMT 1 et 2. Leur coût respectif s’élève à 10 millions d’euros pour le PAMT1 et 4,5 millions d’euros pour le PAMT 2. On peut ainsi comprendre que cet enjeu est à double tranchant. D’une part, le financement étranger met à l’aise au début. Et d’autre part, il dérange quand cela devient une dépendance.
Même constat pour les sites web. Il peut y avoir une dérive quand les annonces publicitaires affichent plus de 80 % du contenu web et peu d’information.
– Quelles sont les solutions?
Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est d’avoir une charte d’auto-régulation. Cependant, je n’aimerais pas que ce soit imposé par l’État mais disons que les sites web devraient respecter une charte déontologique; ainsi que l’autorégulation en limitant ainsi les plafonds publicitaires.
Abdelkarim Hizaoui : « Il faut un conseil de la presse qui existe sans exister »
Et pour y parvenir, il faut un conseil de la presse qui existe sans exister. Ce qui conduit à l’aide de l’État qui pourrait être justement conditionnée par le respect de ces règles.
Bien avant 2011, l’État soutenait les médias publics et privés par une aide financière?
En effet, l’État finançait les médias publics et accordait un soutien aux médias privés encadré par un décret au profit des journaux des partis politiques. Donc il y avait effectivement une petite subvention financière qui permettait à ces journaux d’exister de manière paresseuse. A titre d’exemple El Wahda, el Mostakbel. Alors, la grande question qui s’est posée depuis 2011 c’est la responsabilité de l’État vis-à-vis des médias.
la responsabilité de l’État vis-à-vis des médias
On a malheureusement cru un peu trop vite qu’on pouvait adopter la politique sur laquelle l’État devrait se passer de ministère de l’Information. Et ce, en raison de la transition démocratique. Ainsi, durant cette période de transition, on ne pouvait guère se passer de la responsabilité de l’État à l’égard d’un secteur aussi important aussi stratégique que celui de l’information.
Ce qui fait qu’on s’est retrouvé après 2011, notamment après la disparition de l’INRIC en juillet 2012, le secteur des médias s’est retrouvé dans le circuit parallèle. Car on ne sait pas qui décide, qui est responsable et jusqu’à maintenant cela continue. D’ailleurs, il suffit de constater la position du ministre des Affaires sociales qui endosse le rôle d’interlocuteur des journalistes. Sans oublier que la présidence du gouvernement et celle de la République faisaient disparaître les chargés de relation avec les médias. Alors qu’au fil des années, cette structure publique au niveau du gouvernement a toujours existé.
Abdelkarim Hizaoui : « Il faut une législation claire »
Par ailleurs, à mon sens, pour mieux structurer le secteur, il faut une législation claire. Mais ce qui est loin d’être normal, c’est que les organisations professionnelles ont profité de ce vide pour se donner plus de compétences et plus de pouvoir à préparer des textes législatifs. Cependant, c’est à l’État et aux professeurs de droit des médias qu’il revient de la proposer. En outre, l’Etat n’a pas assumé ses responsabilités de puissance publique responsable. Mais on verra avec le temps qui a tort et qui a raison. Car le temps nous le dira.
– Pour conclure, que peut-on déduire?
Je conclus en insistant sur le fait qu’on a besoin aujourd’hui d’ une étude approfondie sur le modèle économique existant pour partir sur une base solide afin d’innover pour que ce secteur se donne les moyens de survivre.