En ce dimanche 29 janvier 2023, jour du second tour des législatives, le Président de la République, Kaïs Saïed, devait, théoriquement, boucler la mise en place de son projet très spécial d’un système de gouvernance, basé uniquement sur la volonté du peuple. D’où le fameux slogan : « Le peuple veut. »
D’ailleurs, jusqu’à ces derniers jours précédant les élections législatives anticipées, il a réitéré ce principe en recevant la Cheffe du Gouvernement, la ministre des Finances et le Gouverneur de la Banque centrale. Et ce, pour examiner la participation de notre pays au Forum de Davos. Le Chef de l’Etat leur a dit : « Seul le peuple est capable de faire le diagnostic de la situation- et il l’a fait- et il est le seul à prescrire l’ordonnance des médicaments pour faire face aux défis… »
Le peuple a dit son mot et les jeux sont faits
Or, le peuple n’est pas une unité, mais il est formé de plus de 12 millions de personnes qui, en aucun cas, ne peuvent concevoir et décider d’une approche bien réfléchie. Et ce qui intrigue le plus dans les propos de Kaïs Saïed est que, pour lui, le peuple a dit son mot et que les jeux sont faits…
Pourtant les faits contredisent ces affirmations dans le sens où le peuple n’a rien voulu. Mais il a, plutôt, subi des faits accomplis imposés par des passages en force rendus possibles par la façon de gouverner par le biais de décrets, souvent rendus publics tard dans la nuit.
La dernière étape du processus conçu et concrétisé par le Président de la République, à savoir les élections législatives, a essuyé la pire des humiliations avec une participation honteuse atteignant, au 1er tour, le triste record mondial et historique d’à peine supérieur à 11%. Un camouflet confirmé en ce dimanche du 29 janvier 2023.
Entêtement à organiser le second tour malgré le taux de participation trop faible
Refusant d’admettre la déroute, et en dépit des critiques allant jusqu’à réclamer l’annulation du scrutin, le Chef de l’Etat a maintenu le second tour. Tout en annonçant sa trouvaille du calcul du taux de participation sur l’ensemble des deux tours!
Et malgré la propagande et l’activisme de l’Instance supérieure indépendante des élections – même si tous ses membres sont désignés par le Chef de l’Etat – secourue par les supports médiatiques publics, la campagne a été « fade » avec les mêmes appels au boycott.
Ainsi, un taux similaire a été enregistré, soit 11,3 %, en dépit des appels à outrance effectuée par l’ISIE. Lequel osait jouer le rôle d’un institut de sondage en prévoyant une participation supérieure.
Il faut dire que les observateurs avertis s’attendaient à un tel comportement du Chef de l’Etat. Dans le sens où il continue d’avancer, quoiqu’il advienne, dans la concrétisation de son projet, sans écouter qui que ce soit.
Reste à connaitre, maintenant, l’attitude du Président de la République. Et ce, après la confirmation du revers électoral prouvant la fin du mythe de sa popularité et du soutien du peuple. Ce dernier venant de refuser, massivement, de le suivre dans la finalisation de « son projet » !…
L’UGTT persiste dans son initiative, malgré l’ignorance affichée par le Chef de l’Etat
A relever, dans cet ordre d’idées, la persistance de l’UGTT à maintenir son initiative et à la soumettre au Chef de l’Etat, pour le sauvetage du pays, alors que Kaïs Saïed n’a même pas daigné la recevoir ou même évoquer ladite proposition de dialogue émise par la Centrale syndicale.
En tout état de cause, l’évolution des événements en Tunisie depuis le 25 juillet 2021 n’aurait dû surprendre personne. Dans la mesure où tous les agissements du Président de la République, dès son élection en octobre 2019, versaient dans le sens de l’application de son projet de gouvernance.
En relisant l’unique interview accordée à un média tunisien, en l’occurrence le journal en langue arabe « Acharaâ el magharibi » dans son édition du 11 juin 2019, on s’aperçoit qu’il avait exposé son projet dans les moindres détails. Mais personne ne l’avait pris au sérieux, sachant qu’il n’en avait pas parlé lors de sa campagne.
Application à la lettre du contenu de l’interview du 11 juin 2019
Autrement dit, tout ce qu’a fait Kaïs Saïed depuis son installation au Palais de Carthage est une concrétisation de ses propos du 11 juin 2019 et que personne ne croyait qu’il allait appliquer. D’ailleurs, après coup, on a tendance à croire que le processus du 25 juillet 2021 n’était rien d’autre qu’une façon préméditée d’imposer un projet que tous les politiciens et sociologues assurent « irréaliste ».
Et si on regarde, de près, les décisions prises par Kaïs Saïed depuis la désignation de la candidature d’Elyes Fakhfakh pour former le gouvernement, on voit clairement qu’il visait la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple devant laquelle il avait prêté serment.
Le « prétexte » du danger grave et imminent
Aidé, par un comportement d’Ennahdha et de ses associés d’al-Karama et de Qalb Tounès qui ont prêté le flanc, le Président de la République s’est décidé à passer à l’action; et ce, évoquant l’existence d’un danger grave et imminent.
En effet, par leurs querelles et leur manie de s’enrichir tout en exigeant des sommes mirobolantes pour ce qu’ils considéraient comme étant des compensations « méritées », le trio au pouvoir s’est attiré les foudres de la population. D’où le soulagement et la joie exprimés par la majorité des Tunisiens sortis dans la rue exprimer leur soutien à l’action du Chef de l’Etat.
Or, les Tunisiens, heureux de s’être débarrassés des islamistes, n’ont jamais imaginé que Kaïs Saïed allait imposer sa « volonté » au peuple. Tout en brandissant le slogan du « peuple veut ». Ainsi, depuis l’activation de l’article 80, théoriquement limité dans le temps, le Président de la République est passé à la mise en place, pure et simple, d’un projet bien propre à lui.
Le principal hic reste, toutefois, la négligence de l’aspect économique et financier par le Chef de l’Etat. Ce qui est en train de conduire la Tunisie vers l’état de faillite. En témoigne la baisse de la notation de notre pays par l’agence de Fitch Rating en lui collant un « triste » Caa2 avec perspectives négatives, plaçant notre pays à un seul palier synonyme d’état de faillite.
Quelle mission pour le président du Club de Paris à Tunis?
Et dire que tous les experts prévoyaient un pareil désastre économique et financier. Mais Kaïs Saïed tournait en dérision les mesures prises par les agences de notation surnommées avec dédain « Ommek Sannéfa ».
Bon à savoir que Najla Bouden a reçu, mardi 24 janvier 2023, le directeur général du Trésor français, Emmanuel Moulin. Le communiqué rendu public par La Kasbah s’est contenté de mentionner une seule qualité officielle du responsable français tout en occultant l’autre qualité, très importante; à savoir celle du président du Club de Paris, qui se rend chez nous un an après une visite en janvier 2022.
A rappeler que le Club de Paris est un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés. Les créanciers du club de Paris leur accordent un allégement de dette pour les aider à rétablir leur situation financière. Mais, c’est une forme de tutelle qui rend extrêmement difficile la gestion financière des affaires du pays.
In fine, les Tunisiens sont curieux de connaître la suite que voudra bien donner le Chef de l’Etat à « son projet ». Même si les personnes l’ayant connu de près sont enclins à penser qu’il ne changera pas d’avis. Dans le sens où il est connu pour être un homme adepte de ce qu’on appelle « l’idée fixe », voire carrément « l’obsession »…