L’influence des réseaux sociaux sur l’opinion publique prend-elle le pas sur le débat politique de fond? La propulsion du rappeur K2Rym à la 3ème position des intentions de vote, devançant ainsi Abir Moussi, laisse perplexe. Le monde à l’envers!
Selon le bon mot d’un humoriste français : « Par définition, les sondages ne se trompent jamais, car ils n’ont pas vocation à prédire ». Pourtant, les résultats surprenants d’un sondage d’opinion récemment publiés par Sigma Conseil et portant sur les intentions de vote lors de la prochaine présidentielle, déclenche un tremblement de terre et une vive polémique au sein de l’establishment politique. Et surtout sur les médias et les réseaux sociaux avides de ces friandises. Et pour cause : K2Rym fait une entrée fracassante.
Sondage surprise
Ainsi, et sans surprise, le président de la République Kaïs Saïed garde un socle solide de 49,4 % des intentions de vote si on organisait une élection présidentielle demain. Pourtant, à l’exercice du pouvoir, sa cote de popularité s’est effritée à vue d’œil. Puisqu’elle perd presque 30 points en trois ans et demi. Alors qu’il caracolait en tête des sondages au début de son mandat. Avant de se faire élire avec un score, à la soviétique (72,71 %), en octobre 2019.
Usure du pouvoir? Enorme espoir avant d’être confronté à une dure réalité économique? Dérive autoritaire suite au coup de force du 25 juillet? C’est probablement la combinaison de ces facteurs qui explique la chute de la popularité du chef de l’Etat. Même s’il continue à distancer avec insolence ses concurrents.
A des années lumières, il est talonné par Safi Saïd, crédité de 10,3 % d’intentions de vote. Un personnage haut en couleurs, au passé nationaliste panarabe trouble, analyste géopolitique à ses heures, ancien député. Et auteur d’une vingtaine d’ouvrages politiques parfois indigestes où se côtoient le bon et le moins bon.
Mais le coup d’éclat de ce baromètre politique présenté par Hassen Zargouni, le patron de Sigma Conseil, c’est la 3ème position du podium qu’occupe le rappeur K2Rym. Avec 5,9 %, il devance à la stupéfaction générale la cheffe du parti destourien Abir Moussi. En effet avec 4,6 %, elle rétrograde à la 4ème place. Moncef Marzouki, Fadhel Abdelkefi et Néji Jalloul ferment la marche.
Bling- bling et jet privé
Or, cette 3ème place au podium pose problème. Que savons-nous au juste de Karim Gharbi, allias K2Rym?
Un artiste à la fortune douteuse, arborant un look de rappeur tatoué et portant plusieurs piercings, qui s’affiche sans pudeur dans son jet privé. Ex-gendre de Ben Ali, reconverti récemment en philanthrope « désintéressé » dans des actions caritatives dans les régions intérieures du pays et dans les quartiers populaires. A cet égard, cela rappelle un certain ancien candidat à l’élection présidentielle, promoteur de l’association « Khalil Tounes » actuellement en fuite à l’étranger!
Alors, il y a lieu de s’interroger sur la crédibilité de cette enquête d’opinion vigoureusement que conteste la présidente du PDL, Abir Moussi. Celle-ci, piquée au vif d’être distancée par un rappeur, soupçonne sans preuves le patron de Sigma Conseil de manipuler l’opinion publique dans le but pervers d’orienter les tendances de vote lors de la prochaine élection présidentielle en octobre 2024. Pourtant, force est de reconnaitre que l’institut d’opinion de Hassen Zargouni avait prévu, à contre-courant et presque avec exactitude, les résultats de l’élection présidentielle en 2019.
Des vendus et des traîtres
« Vendus », « traîtres », ainsi des manifestants destouriens, que dirige Abir Moussi, qualifiaient les participants à la conférence annuelle de Sigma Conseil dans un hôtel de Tunis. Le patron du cabinet Sigma Conseil, Hassen Zargouni, y présentait samedi 4 février aux journalistes les résultats du dernier baromètre politique réalisé par son cabinet.
A cette occasion, Mme Moussi organisait ce jour un sit-in pour dénoncer les « manipulations » d’Hassan Zargouni. D’ailleurs elle l’accuse de « faire partie d’un réseau implanté dans le monde entier ». Ainsi que d’être « à la solde des pouvoirs financiers internationaux ». Et encore d’être « soumis à des intérêts américains, européens, français, allemands et des pays du Golfe ».
Etait-il utile et surtout productif politiquement que l’ombrageuse Abir Moussi,- suite à sa campagne contre les islamistes, les partis politiques, la centrale syndicale, le président de la République, certaines chancelleries occidentales, sans omettre les médias- se mette à dos un nouvel ennemi? En l’occurrence un cabinet d’opinion capable de faire et défaire le destin de figures politiques?
Enfin, que traduit ce sondage objet de toutes les polémiques? Désenchantement envers les figures politiques dont l’image est fortement écornée? Dégoût de la politique? Montée en puissance des courants populistes? Influence malsaine des réseaux sociaux en l’absence de débats politiques de fond? A moins que le Tunisien, écrasé par d’autres considérations plus matérielles, se soit transformé en un citoyen manipulable à souhait.