De partout, comme en temps de guerre, les sirènes n’arrêtent pas de retentir. En vain, dans l’insouciance générale…
Les « forces vives », ou ce qui en tient lieu, se réfugient sous les décombres de ce qui reste de l’État-providence, les états-majors politiques dans les bas-fonds de la politique politicienne ; ce qui n’empêche pas le pays de dériver dangereusement. Il ne fait aucun doute que le compte à rebours est déjà enclenché. Le constat est affligeant : à chaque jour suffit sa peine. L’État vit d’expédients, sous la dictature de l’immédiat, au rythme des versements des salaires, des pensions de retraite et des pénuries qu’il tente de gérer sans disposer de moyens financiers conséquents. Le moindre mouvement de ses dépenses courantes pose problème et menace d’éloigner pour longtemps la perspective d’un retour à l’équilibre. Les déficits s’accumulent, l’inflation repart sans cesse à la hausse, insensible, quand elle n’est pas alimentée par la montée du loyer de l’argent.
L’investissement, qui n’est plus qu’un lointain souvenir, poursuit son déclin
L’investissement, qui n’est plus qu’un lointain souvenir, poursuit son déclin, entraînant dans sa chute croissance et emploi. La stagflation, inconnue jusque-là sous nos cieux, s’incruste et sape les fondements de l’économie et la cohésion sociale. Ce couple maléfique lamine le pouvoir d’achat et signe le déclin définitif de la classe moyenne, aujourd’hui désemparée, déprimée, qui renonce même à se chercher un avenir.
Chaque jour qui passe, riche en palabres et en tensions politiques, diminue notre potentiel de croissance, notre capacité de rebond, notre rang dans le monde, autant que nos réserves de change. Celles-ci couvraient, il y a un an, près de 140 jours d’importation pour tomber, à l’orée de 2023, à quelque 96 jours.
Rien ne laisse prévoir la moindre remontée. Bien au contraire : le pire est devant nous. Et c’est là que réside le danger imminent, si on n’y prend garde. Car, derrière cette hémorragie, pointe la menace bien réelle d’un décrochage massif et brutal du dinar, auquel cas, le pays connaîtrait ses heures les plus sombres. Survivra-t-il d’ailleurs à une grave amputation de la monnaie nationale, véritable hécatombe autant sociale qu’humaine ? Si elle se produisait, en supposant que les barrages, les digues et les moyens de défense d’ordre monétaire de la BCT viendraient à céder, c’est tout le pays, à l’exception d’une poignée de nantis, qui basculera dans la pauvreté et la misère, sans la moindre perspective de sortir la tête de l’eau.
Le poids de l’inflation et des déficits jumeaux, la chute ininterrompue de la productivité, l’effet dévastateur du phénomène de désindustrialisation exercent déjà une terrible pression sur le dinar. Si l’éphémère ligne Maginot de l’Institut d’émission venait à être transpercée, on n’oserait pas imaginer les conséquences d’un tel scénario catastrophe. La pyramide sociale va s’affaisser dangereusement, engloutissant ce qui reste de notre modèle social. La libéralisation progressive des prix administrés, qui suscite méfiance et hostilité, est de très peu d’effet face au séisme que provoquerait une dévaluation franche et massive du dinar. La flambée des prix sera d’une tout autre intensité, avec son cortège de paupérisation de la société, de tensions et de troubles sociaux. De quoi plonger le pays au plus profond des abîmes.
Un pays n’est fort, puissant et prospère que par sa monnaie
Ne nous trompons pas d’objectifs. Nous n’avons aujourd’hui d’autres ennemis à combattre que notre insouciance et un certain déni de la réalité qui nous ont fait perdre le goût de l’effort et du travail, le sens de l’intérêt général et les considérations de long terme. Ils ont fini par malmener notre autonomie financière et jeter une ombre sur notre souveraineté, aujourd’hui limitée. Un pays n’est fort, puissant et prospère que par sa monnaie, ses excédents commerciaux et ses réserves de change. Qui sont autant de démonstrations de son unité, de son dynamisme économique, de son ambition, de ses préférences nationales, de la performance de ses entreprises et de l’exploit de ses cadres et de son capital humain. Le reste n’est que littérature.
Le temps est venu pour nous rendre à l’évidence, éviter de transgresser les principes de réalité. Quoi de plus nécessaire que de nous prendre en charge, de ne plus vivre à crédit au-dessus de nos moyens, de repenser le concept même d’État-providence à la lumière de la nouvelle donne économique mondiale ! L’État protège, mais doit prendre conscience que l’assistanat à tout-va et à tout prix ne peut tenir lieu de politique. Il s’y enlise sans succès et porte même au final atteinte à la notion de dignité humaine.
implémenter les nécessaires réformes
Le temps est venu d’entreprendre et d’implémenter les nécessaires réformes pour libérer les forces productrices et lever les obstacles au développement. Il s’agit de ceux en rapport avec l’État pléthorique qui prend aux contribuables plus qu’il n’en donne au pays. Les entreprises publiques, qui ne savent plus à quel saint se vouer, n’échappent pas non plus à la loi des transformations économiques et sociales. Sous tutelle partagée – État/syndicat -, elles distribuent plus de salaires et d’émoluments aux frais du contribuable qu’elles ne créent de richesse.
Notre fiscalité, qui n’est pas en reste pose problème
Notre fiscalité, qui n’est pas en reste, n’en est pas une ; elle pose problème et va même à l’encontre du rôle qui est le sien. Elle pénalise les plus vertueux, oubliant au passage que les profits d’aujourd’hui sont l’investissement de demain et l’emploi d’après-demain. Elle les sanctionne en se sabordant et en se privant de recettes futures comme pour dispenser de ses obligations, la cohorte devenue majoritaire des maitres patentés de l’évasion fiscale et des barons de l’économie pas si souterraine que cela. Reste bien sûr la réforme des subventions qu’il faut consommer avec modération, y compris les carburants, pour ne pas jeter de l’huile sur le feu. Ces réformes dont on parle tant ne sont plus une option, elles sont d’une impérieuse nécessité pour sortir le pays de l’ornière, chasser le spectre de la faillite et du défaut de paiement, FMI ou pas. Si, de surcroît, elles lèvent l’hypothèque de financement international dont on a un pressant besoin, c’est tant mieux. Nous n’allons pas nous lamenter et nous plaindre de cet appel d’air, alors que nous sommes au bord de l’asphyxie.
Pour l’heure, c’est cette guerre qu’il faut mener, sous la bannière de l’union sacrée, sachant que le temps de l’économie est trop court, comparé à celui de la politique. Il nous faut gagner cet ultime combat pour relancer investissements locaux et étrangers, retrouver les chemins de la croissance, éradiquer le chômage, l’inflation, remonter dans l’échelle des agences de notation et dans l’estime des États, qui ont peu de respect et de considération pour les pays incapables de se prendre en charge. Autant dire ceux qui n’ont plus la maitrise de leur destinée.
L’édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin N° 863 du 15 février au 1er mars 2023