L’inégalité hommes-femmes exacerbe l’impact des catastrophes naturelles. Et les conséquences de ces dernières aggravent l’inégalité des sexes.
Les États doivent introduire une fiscalité progressive pour financer l’expansion de droits tels que l’accès universel aux soins de santé et à l’éducation. De même qu’ils doivent renforcer la résilience des femmes face aux catastrophes naturelles et au changement climatique.
Elle s’appellera Aya. C’est le nom que les infirmières ont donné au nourrisson retrouvé sous les décombres d’un immeuble de cinq étages à Jinderis, dans le nord de la Syrie, après l’avoir soigné à l’hôpital. Un miracle. A ses côtés, les sauveteurs ont retrouvé sa mère sans vie. Elle avait accouché dans les heures suivant le tremblement de terre de magnitude 7,8 qui frappait la Turquie et la Syrie dans la nuit du 6 février 2023. Comme elle, plus de 50 000 personnes sont mortes des suites du séisme. Si l’histoire, aussi tragique que porteuse d’espoir, a ému la presse, elle rappelle aussi que selon les Nations Unies, plus de 350 000 femmes enceintes de la région sont aujourd’hui totalement dépourvues d’accès aux soins de santé. Et ce n’est qu’un aspect de la vulnérabilité des femmes aux catastrophes naturelles.
Inondations, sécheresses, tremblements de terre : nous ne sommes pas égaux devant les catastrophes naturelles, surtout dans les pays en développement. L’histoire montre qu’elles tuent les femmes et les filles en plus grand nombre. Elles représentaient par exemple 70 % des 230 000 personnes disparues pendant le tsunami de l’océan Indien en 2004. En raison des barrières liées à l’inégalité des sexes, elles ont souvent moins de compétences pour survivre. Ainsi, c’est d’abord aux garçons qu’on apprend à nager, ou à lire. Difficile, dans ces conditions, d’accéder aux alertes précoces, ou d’identifier les abris sûrs. Sans compter qu’elles ont plus de mal à fuir le danger, puisque ce sont elles qui, le plus souvent, sont responsables des enfants, des personnes âgées et des malades. Dans les ménages, le stress et la peur, associés à la perte de revenus causée par les catastrophes provoquent souvent un regain de la violence domestique à l’encontre des femmes et des filles. C’est encore plus net quand des populations entières sont déplacées, les mettant à la merci des risques d’agression et d’exploitation sexuelles.
Du point de vue économique aussi, les femmes sont touchées de manière disproportionnée. La Banque Mondiale a montré par exemple que dans les zones rurales, les agricultrices voient leurs revenus plus affectés que les hommes. Affectées aux tâches ménagères, elles sont plus dépendantes qu’eux de l’accès aux ressources naturelles et souffrent donc plus de leur raréfaction. Ce sont ainsi les premières victimes de l’insécurité alimentaire. En 2020, on estimait que 60 % des personnes pâtissant de la faim étaient des femmes et des filles et l’écart n’a fait que se creuser depuis. Beaucoup n’ont pas non plus accès à des comptes bancaires, qui leur permettraient de protéger leurs économies.
Au lendemain d’une catastrophe, les attentes sociales liées au genre sont toujours les mêmes. Les femmes doivent ainsi supporter un surcroît de travail domestique qui les empêche, entre autres, de trouver un emploi source de revenu. En moyenne, elles y consacrent déjà 3,2 fois plus de temps que les hommes. La pandémie- une autre catastrophe naturelle- a d’ailleurs mis en évidence la répartition inégale des soins non rémunérés et du travail domestique, et à quel point ils sont sous-évalués et peu reconnus. C’est pourtant une contrainte majeure pour l’accès des femmes à l’éducation, un obstacle à leur entrée et à leur avancement sur le marché du travail rémunéré ainsi qu’à leur participation politique. Avec des conséquences graves en termes de protection sociale, de revenu et de pension de retraite.
L’inégalité hommes-femmes exacerbe l’impact des catastrophes naturelles et les conséquences de ces dernières aggravent l’inégalité des sexes. Un cercle vicieux inacceptable. Alors que le monde est déjà confronté à un nombre croissant de tragédies liées au climat, les gouvernements doivent prendre des mesures immédiates et à long terme pour investir dans l’accès universel aux soins de santé, à l’eau et à l’assainissement, à l’éducation, à la protection sociale et aux infrastructures pour l’égalité des sexes et la pleine jouissance des droits fondamentaux des femmes.
Même en temps de crise, lorsque les caisses des États sont presque vides, il existe des solutions équitables pour augmenter les revenus afin de financer les investissements nécessaires pour renforcer la résilience des femmes. Comme par exemple faire payer ceux qui profitent des crises ravageant la planète, y compris les catastrophes naturelles. C’est ce que recommande la Commission indépendante sur la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), dont je suis membre aux côtés, entre autres, de Joseph Stiglitz, Jayati Ghosh et Thomas Piketty. Au lieu d’appliquer des programmes d’austérité aux conséquences dévastatrices pour les plus vulnérables, les États peuvent obtenir plus de ressources en taxant davantage les multinationales les plus profitables et les ultra-riches.
Cela commence par l’introduction d’impôts sur les superprofits des multinationales, déjà en marche dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique latine. Car les chiffres donnent le tournis, comme pour les géants du secteur pharmaceutique, qui ont fait fortune en vendant des vaccins Covid-19 qu’ils n’auraient pas pu développer sans des subventions publiques. C’est aussi le cas des multinationales du secteur de l’énergie ou de l’alimentation. Ainsi, Oxfam estime que leurs bénéfices ont été multipliés par plus de deux fois et demie (256%) en 2022, par rapport à la moyenne de 2018-2021. Pour les mêmes raisons, il est urgent de taxer les plus riches, qui ne paient aujourd’hui quasiment aucun impôt. Il est inadmissible qu’un homme comme Elon Musk, l’une des personnes les plus riches de l’histoire, paie 3,3 % d’impôts, alors qu’Aber Christine, une vendeuse de riz sur les marchés en Ouganda en paie 40 %, comme le rappelle Oxfam.
La fiscalité progressive- faire payer aux plus riches et aux multinationales leur juste part- est l’un des outils les plus puissants pour réduire toutes sortes d’inégalités. Alors que le monde célèbre la Journée internationale des femmes, gardons à l’esprit qu’il est impossible de construire des sociétés plus résilientes sans se battre pour l’égalité des sexes. Continuer à l’ignorer est un choix politique, et une menace aussi périlleuse encore pour le développement que les catastrophes naturelles elles-mêmes.
Par Magdalena Sepúlveda, directrice exécutive de l’Initiative mondiale pour les droits économiques, sociaux et culturels et membre de la Commission indépendante sur la réforme fiscale internationale des entreprises (ICRICT). De 2008 à 2014, elle a été Rapporteur des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme.