Le monde entier a salué l’accord de normalisation que viennent de signer l’Arabie saoudite et l’Iran. Le monde entier sauf Israël dont les dirigeants sont en train de s’arracher les cheveux et de se lancer les uns sur les autres la responsabilité de ce qu’ils qualifient comme « un échec stratégique » de la politique étrangère de Tel-Aviv avec cet accord irano-saoudien.
Le monde entier, y compris les Etats-Unis, du moins en apparence. Car, il faut une bonne dose de naïveté pour croire que Washington est réellement content de ce rapprochement spectaculaire entre Ryadh, son allié de 80 ans, et l’Iran, son ennemi de 40 ans. La vérité est que l’accord irano-saoudien, parrainé par Pékin, est un désastre stratégique pour les Etats-Unis et Israël et une victoire spectaculaire pour la Chine et la Russie.
Un coup dur pour ceux qui tentent désespérément de perpétuer l’unipolarité, la rivalité et les conflits dans le monde et ceux qui œuvrent avec détermination à promouvoir la multipolarité, la coopération et l’entente.
L’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran a été conclu lors d’une réunion en Chine des conseillers à la sécurité nationale des deux pays et rendu public le vendredi 10 mars. Les deux pays ont convenu de rétablir leurs relations diplomatiques rompues en 2016 après la prise d’assaut de l’ambassade du royaume à Téhéran pour protester contre l’exécution d’un éminent religieux chiite saoudien.
Le contenu de cet accord ne doit pas être différent des deux accords précédents qui ont été conclus entre les deux pays en 1998 et 2001, mais qui n’ont pu être concrétisés. La raison de la longue mise en veilleuse de ces deux accords se trouve dans les soubresauts qui ont secoué le monde en général et le Grand-Moyen-Orient, en particulier pendant les trois dernières décennies.
Il faut bien dire que quand la puissance dominante du dernier tiers de siècle considère que son intérêt stratégique est de maintenir les relations des deux principales puissances du Golfe dans un état de tension permanent, aucun accord entre Téhéran et Ryadh ne pouvait se concrétiser.
Alors pourquoi l’Iran et l’Arabie saoudite ont pu signer un nouvel accord le 10 mars 2023? Parce qu’entre temps, une autre grande puissance émergente, la Chine, considère que son intérêt stratégique est de réconcilier les deux ennemis d’hier et de maintenir leurs relations dans un état permanent de coopération et d’entente.
Car la Chine, contrairement aux Etats-Unis, a de bonnes relations avec les deux pays. Elle a signé des accords de coopération énergétique et industrielle évalués en centaines milliards de dollars sur plusieurs années aussi bien avec l’Arabie saoudite qu’avec l’Iran. Le fait que les Etats-Unis soient entièrement occupés à alimenter la guerre en Ukraine a sans doute facilité la tâche de la diplomatie chinoise de réussir un rapprochement aussi spectaculaire qu’inattendu entre Téhéran et Ryadh.
Il faut préciser aussi que la classe politique américaine ne peut pas être satisfaite de l’accord irano-saoudien, car il constitue un indice de plus que le monde est sur la bonne voie d’un monde multipolaire qui se construit lentement et sûrement.
Le rapprochement irano-saoudien a été reçu avec un grand soupir de soulagement dans le monde arabe. Car, s’il est mené à son terme, il ne manquera pas de se répercuter positivement sur les crises politiques qui ont longtemps et dramatiquement sévi en Syrie, en Irak, au Yémen et au Liban. Il ne manquera pas de se répercuter positivement dans tout le monde arabe en général.
Si l’Accord irano-saoudien a pris les proportions d’un désastre stratégique en Israël, c’est parce que ce pays ne se sent en sécurité que si le monde arabe est déchiré par les dissensions internes et dont les relations avec l’Iran et la Turquie sont tendues. D’où l’agitation, l’angoisse et l’effroi qui étreignent la classe politique israélienne face à la perspective de paix et de stabilité qu’ouvre cet accord dans la région du Grand-Moyen-Orient.
Ainsi, la journée du 10 mars 2023 restera sans doute en Israël une journée noire qui hantera longtemps Benyamin Netanyahu. L’éternel Premier ministre israélien s’est toujours présenté comme le seul capable de normaliser progressivement les relations israélo-arabes et de garantir l’isolement de l’Iran dans la région. Son objectif majeur était l’établissement des relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite et la perpétuation de l’inimitié et l’hostilité entre Ryadh et Téhéran.
Le choc dévastateur de Netanyahu est que les choses évoluent dans le sens contraire de ce qu’il a escompté. Un choc d’autant plus dévastateur que la nouvelle du rapprochement irano-saoudien intervient à un moment où des centaines de milliers d’Israéliens protestent quotidiennement dans les rues des villes israéliennes contre le projet de Netanyahu de mettre la main sur le corps judiciaire et le dépouiller de son indépendance et de ses prérogatives.
Difficile de dire quelle priorité s’impose maintenant pour Benyamin Netanyahu : conspuer les manifestants qui l’empêchent de réaliser ses projets à l’intérieur, ou maudire la Chine dont la médiation réussie dans le Golfe a mis un terme à ses ambitions à l’extérieur?