On l’a dit et on ne le répètera jamais assez : la Tunisie est en train de vivre une succession rapide d’événements bizarres et, surtout, des faits qui risquent de lui faire subir des mutations profondes touchant à son « ADN » politique, social et économique dont les séquelles seraient difficiles et longs à réparer.
Notre pays a été doté, en effet, d’un nouveau gouvernement sans marge de manœuvre et sans réel pouvoir. Et après l’organisation d’une « consultation nationale en Tunisie » à distance, il dispose d’une nouvelle Constitution, élaborée en deux temps par le seul Chef de l’Etat et mise en application à l’aide d’un référendum organisé en pleine canicule, plus précisément un certain 25 juillet 2022, soit un an – jour pour jour –après le déclenchement du processus du 25 juillet 2021.
On enregistre également l’existence d’un Conseil supérieur provisoire de la magistrature peu audible. Même pas le mouvement annuel du corps de la magistrature, sachant que pas moins de 57 juges ont été révoqués par le Président de la République.
Nous avons aussi une Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) qui n’est pas si indépendante que ça, puisque ses membres sont désignés par le Chef de l’Etat. Et en même temps, la Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haica) n’a plus aucune existence digne de ce nom.
Nouveau CSM, nouveau Code électoral, nouvelle Constitution, nouvelle ARP…
Et deux ans après la dissolution de l’Assembles des représentants du peuple (ARP), un nouveau parlement est né il y a juste quelques jours suite à des élections législatives qui resteront mémorisées dans les annales du pays, voire du monde entier, à cause du record historique et mondial du taux de participation avec, à peine, 11%.
Auparavant, un nouveau Code électoral a été élaboré par le président de la République qui est le seul habilité à « interpréter » le texte de la Constitution.
Une question se pose et s’impose ici, en passant : et si le Chef de l’Etat n’était pas un professeur de droit constitutionnel, qui aurait été autorisé à l’interpréter, sachant que le processus du 25 juillet a été entrepris sur la base de sa lecture de l’article 80 de la Constitution de 2014 !…
Et depuis près de vingt mois, le pays est gouverné par décrets émis uniquement par le Président de la République sans que personne ne puisse s’y opposer sauf, peut-être, par de simples critiques verbales.
Il y a eu dans l’intervalle la dissolution de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), les placements en résidence surveillée, les interdictions de voyage et autres mandats de dépôt…
Vague d’arrestations, dans l’attente des « accusations officielles »
Mais la plus importante vague d’arrestations demeure celle menée dernièrement, plus précisément depuis le 11 février 2023 avec la mise sous les verrous d’une quinzaine de « grosses cylindrées » appartenant aux cercles de la politique, des affaires et des médias, mais sans la moindre communication officielle.
Du coup, l’opinion publique est, depuis, informée par le biais des avocats de la défense et, surtout, par les multiples statuts sur les réseaux sociaux de Facebook où plusieurs dizaines de pages sont publiées contenant des documents dont certains semblent être officiels (des PV et autres comptes rendus d’interrogatoires), sans oublier les « infos ou intox » savamment diffusées par des profils connus pour leur obédience à tel ou tel clan…
Multiplication des fuites et des rumeurs, en l’absence d’une communication de l’Etat
Ainsi, dans l’attente de l’organisation d’un procès en bonne et due forme, le Président Kaïs Saïed ne laisse guerre place au doute : « Ce sont des criminels et des terroristes… ils sont déjà condamnés par l’histoire avant qu’ils ne le soient par les tribunaux », a-t-il martelé lors de ses multiples sorties.
Pourtant, les rares avocats affirmant avoir pris connaissance du contenu de l’instruction assurent que tous les dossiers sont basés sur des « a-t-on dit » et des témoignages de personnes dont l’identité n’a pas été officiellement révélée. Même si des fuites en font, désormais, un secret de polichinelle…
A titre d’exemple, le point du « plan d’assassinat du Chef de l’Etat dont l’auteur court encore sous la protection des forces de sécurité », selon les propres termes du Chef de l’Etat, n’existe dans aucun PV officiel, comme l’affirment les avocats à travers les différents médias, sans susciter la moindre réaction d’un quelconque officiel, sachant que le ministre de l’Intérieur lui a emboîté le pas en tenant les mêmes propos.
D’autre part, un autre fait bizarre est venu s’ajouter aux données entassées. Il s’agit de ces révélations faites par Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), concernant Sawssen Mabrouk, fraîchement élue au poste de vice-président du nouveau Parlement ; et ses présumées relations avec le royaume virtuel de l’Atlantide.
Et en attendant d’y voir plus clair, les observateurs estiment qu’une enquête sérieuse et minutieuse s’impose pour faire toute la lumière sur cette affaire, en apparence rocambolesque, mais qui peut s’avérer très grave…
Des ingérences, encore des ingérences…
Cerise sur le gâteau. Au moment où le Chef de l’Etat poursuit sa « lutte » contre les comploteurs et les spéculateurs, et pour le recouvrement de « l’argent du peuple », Européens et Américains semblent vouloir resserrer l’étau sur le pouvoir en Tunisie, une attitude rejetée par le Président de la République parce qu’il l’assimile à une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de notre pays.
En effet, les Européens ne se sont pas contentés du vote par leur Parlement d’une motion non contraignante condamnant la dernière campagne d’arrestations et la politique du pouvoir tunisien en matière de droits de l’Homme et de libertés de la presse et d’expression.
Le porte-parole de l’Union européenne pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (région Mena), Luis Miguel Bueno, a enfoncé le clou en déclarant que plusieurs décisions importantes seront annoncées, dans les quatre jours à venir, concernant le partenariat de l’Union européenne avec la Tunisie, et ce, à la lumière des événements ayant eu lieu récemment.
Dans une déclaration à France 24, le porte-parole a fait savoir que l’Union européenne était préoccupée par ce qui se passe en Tunisie, soulignant « l’importance du respect des droits de l’Homme et des libertés, afin de bien mener cette période de transition ».
En tout état de cause, au milieu de tous ces événements que certains qualifient « d’artificiels » et de « diversion », toujours est-il que la Tunisie continue à souffrir de difficultés énormes concernant ses équilibres financiers et budgétaires, sachant qu’au point où on en est, ce n’est pas la somme dérisoire de 1,9 milliard de dollars (l’équivalent de 6 milliards de dinars, environ), qui n’arrive toujours pas, qui va sauver la Trésorerie générale du pays.