Inflation, chômage, même combat. L’un et l’autre creusent les inégalités, fracturent le pays et détruisent la cohésion sociale. Quand les prix partent à la hausse sans que rien ne puisse stopper l’envolée, la courbe du chômage culmine au sommet, mettant en danger les fragiles équilibres économique, social et politique. Chaque point supplémentaire d’une inflation à deux chiffres fait basculer de nouvelles franges de ce qui reste de la classe moyenne dans la zone de pauvreté. Il accélère la marginalisation et l’exclusion des sans-emploi. Il ajoute enfin à l’inquiétude, aux interrogations et au désarroi des PME /PMI.
La hausse des prix, au-delà de certains seuils fatidiques, nuit à la compétitivité et érode la demande finale, privant les entreprises de marchés et de perspective de développement. Elle déclenche la spirale infernale prix-salaires, qui sonnerait le glas des PME en mal de compétitivité et engagées dans une compétition commerciale aux relents guerriers.
Fin février, l’inflation a crevé le plafond des 10% (10,4%). Un phénomène inédit dont on se serait bien passé, sans que rien ne laisse présager une quelconque détente sur le front des prix. De quoi provoquer la colère de celles et ceux qui en sont victimes. Ils crient au vol, en raison des pertes de pouvoir d’achat qu’ils subissent. Pour autant, les Tunisiens ne sont pas tous égaux face à l’inflation. A chaque corporation ses moyens de défense, selon ses capacités de mobilisation et les rapports de force du moment. Les retraités et les chômeurs sont les éternels sacrifiés, sans réel moyen de défense, victimes expiatoires de l’inflation.
Le rouleau compresseur des prix en folie détruit tout sur son passage : sentiment national, éthique et valeurs morales. Au lieu de quoi, les délinquances, physique et financière, font désormais florès et s’érigent en règle. La politique et les politiciens sont du coup déconsidérés, décrédibilisés, démonétisés. Ils sont refoulés dans le fin fond de notre inconscient collectif. Ils sont, au final, par un de ces retournements de l’Histoire, sanctionnés et rejetés comme le seraient des billets abimés par l’érosion monétaire. Le niveau de l’inflation fixe les limites des gouvernants, dont l’incompétence se fracasse contre le mur de la cherté de la vie et les frustrations sociales. Cela est d’autant plus vrai quand l’explosion des prix compromet le développement des entreprises, aux prises avec des augmentations de salaires qui ne sont pas indexées sur la productivité des facteurs. Exit les entreprises marginales, noyées sous le poids des charges, le loyer de l’argent s’entend en partie. Et pour cause ! Quand la marée inflationniste menace de faire couler le dinar, la BCT, d’instinct, par pur réflexe ou instruite par les thèses monétaristes, se sent dans l’obligation de dégainer l’arme du taux directeur pour allumer un contre-feu et circonscrire la flambée des prix. Elle est comptable de la stabilité des prix et de la monnaie. Qu’importe si le prix à payer est à ce point exorbitant. La question est moins de sauver le malade que d’éradiquer la maladie. L’ennui est qu’il n’est pas clairement établi que cette politique soit la bonne quand l’inflation a d’autres sources que les facilités d’accès au crédit à des taux réels négatifs, quand elle n’a pas pour origine une politique monétaire accommodante.
Un grand nombre de nos PME/PMI, fer de lance de l’économie nationale
Dans ces conditions, la hausse récurrente des taux directeurs est de peu d’efficacité. Elle risque même d’ajouter de l’inflation à l’inflation, à travers le renchérissement des coûts des entreprises. Croire que la hausse des taux va stimuler l’épargne est un leurre et un non-sens dans un contexte inflationniste sans visibilité politique et économique. C’est méconnaître ou ignorer les effets des anticipations inflationnistes qui précipitent les dépenses des acteurs économiques, à l’idée que les prix seront plus chers demain. Il est à craindre que l’instrument des taux directeurs soit, en période de crise, une arme de destruction massive, d’autant que nos banques s’obstinent à ne pratiquer que des taux variables. On en me[1]sure déjà les dégâts en matière de désertification industrielle. Un grand nombre de nos PME/PMI, fer de lance de l’économie nationale, sont dans un état de mort cérébrale. Renchérir de nouveau les crédits au motif de casser la dynamique de l’inflation finit par élargir le champ de mines. L’effet serait dévastateur pour l’investissement, la croissance, l’emploi, les salaires. De fait, le recul de l’inflation et du déficit extérieur, tout comme la stabilité du dinar, relèvent aussi bien de la politique monétaire que de l’économie réelle.
Que faire alors qui puisse desserrer l’étreinte qui pèse sur la BCT ?
Que faire alors qui puisse desserrer l’étreinte qui pèse sur la BCT ? S’attaquer aux causes réelles d’une inflation davantage par les coûts que par la demande, en mettant en œuvre une politique d’offre pour extirper à la racine les tensions inflationnistes ? L’objectif est de faire sauter les goulots d’étranglement en s’attaquant aux coûts directs et cachés que subissent les entreprises et les exploitations agricoles. Vaste programme qui vise les circuits de distribution, la logistique, les distorsions en tout genre, la spéculation… D’un mot : il n’y a pas mieux que la productivité et les rendements agricoles pour inverser, sinon stopper, la courbe de l’inflation. Autant dire que les salariés ne sont pas exempts de responsabilité. Ils paieront en inflation le relâchement, le manque d’engagement et d’implication dans la production. L’inflation est la traduction en prix du déficit de productivité. On ne peut vouloir des prix bas avec un minimum d’effort et un travail de basse intensité. L’inflation ne serait rien d’autre que le prix des tensions politiques, du désordre économique et social. Il importe de s’en rappeler à moins de deux semaines du mois de Ramadan. A bon entendeur…
L’édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 865 du 15 au 29 mars 2023