Depuis des siècles de colonisation, de dictatures et donc de manque de libertés, la notion de citoyenneté n´a pas été intégrée de la même manière chez tous les Tunisiens. Sachant que tout citoyen n´est pas tenu de s´impliquer en politique mais que chaque citoyen selon son engagement envers son pays participera à son évolution, à sa stagnation ou à son déclin.
Aujourd’hui, après 67 ans d´indépendance, je distingue quatre différentes catégories de Tunisiens qui correspondent à quatre étapes d’évolution allant du sujet passif au citoyen actif sans oublier les nocifs.
– Un très grand nombre de Tunisiens a inconsciemment gardé à jamais inscrit dans sa mémoire la servitude. C´est le seul fonctionnement qu´ils connaissent. En grande partie, ils appartiennent aux classes les plus démunies et les moins éduquées, raison pour laquelle la servitude les sécurise. Ils sont tout de même à respecter car s’ils ne sont pas des citoyens actifs, ils ne nuisent néanmoins à personnes.
– Il y ceux qui, loin de toute servitude inconsciente et pour différentes autres raisons, soutiendront tout pouvoir en place et ce, quel que soit sa qualité. Ils partent du principe qu´aucun pouvoir n´est parfait et qu´il faut donner à chacun sa chance. Pour eux tout changement et toute évolution doit nécessairement se faire de l´intérieur même du pouvoir. En général ce sont des gens du secteur privé qui se focalisent sur l’économie. Pour eux, la création de richesse et d’emplois reste leur priorité citoyenne. La politique doit être confiée aux spécialistes. C’est une vue de l’esprit assez respectable.
– Puis il y a ceux insoumis de par leur nature et critiques envers tout ordre établi qui au nom de la liberté vont s´opposer à tout pouvoir en place. Il est inadmissible à leurs yeux qu´au nom d´une union nationale, tout un peuple soit soumis à un mode de pensée unique. S´ils ne se donnent pas les outils nécessaires ou au moins une stratégie pour faire progresser le pouvoir établi, ils se feront la plupart du temps écraser par ce dernier surtout s´il n´est pas d´essence démocratique. Néanmoins, ils demeureront les catalyseurs de tout changement et rien qu’en cela ils sont à respecter.
– Enfin, il y a ceux que j´appellerais les évolutionnaires. Une infime minorité constamment mue par un besoin d´évoluer et de faire évoluer son environnement. Innovation, création et progrès sont leurs maitre-mots. C’est pourquoi ils sont eux aussi dans la critique constante mais avec une approche constructive. Ils s´organisent entre eux afin de servir de contrepouvoir visible et efficient mais surtout afin de servir de garde-fou si le besoin s’en fait ressentir. Ils se donnent les outils et les moyens d’agir en instaurant les procédures nécessaires. Ce sont eux qui finissent par faire avancer le pays dans la bonne direction. En cela, ils sont très respectables.
Ces quatre catégories ont en commun une certaine sagesse à différentes facettes qui sert, soit de frein au plus pressés, soit de locomotive au plus lents. Tout comme une mosaïque, leur objectif final est de permettre une unité dans la diversité. Cette manière de coexister favorise la croissance économique et la paix sociale à condition que la quatrième catégorie soit dominante et qu’elle arrive à être une locomotive pour favoriser l’éveil citoyen chez la première catégorie et une maturité supplémentaire chez les deux autres catégories.
Or l’être humain est loin d’être parfait et les défauts ne lui manquent pas. A ce titre, l’on distingue clairement une cinquième catégorie, celle que j’appellerais les nocifs. Elle comporte les opportunistes, les corrupteurs et les corrompus, les vendus, les magouilleurs, les contrebandiers, les tricheurs etc. Sachant que la nocivité est particulièrement contagieuse et que du temps de Ben Ali, elle s’est enracinée et a fait beaucoup de ravages que nous trainons jusqu’à ce jour.
Si je ne peux en aucun cas respecter cette catégorie, je ne peux non plus la blâmer. De fait, elle n’est que la résultante d’un système qui a été lui-même corrompu et nocif au point de provoquer une révolution. Si les nocifs l´ont été volontairement, il n´en demeure pas moins qu´ils ont été des victimes. J´estime que leur comportement résulte directement de la qualité du système de gouvernance dans lequel ils ont évolués. Un système corrompu à la base avec une justice aux ordres, ne peut qu’enfanter des nocifs qui cherchent à le contourner.
Comme aucun système n’est parfait, tout dépendra donc de la proportion de chaque catégorie. De mon point de vue, j´estime donc qu´il revient à l’élite politique de concevoir un bon système de gouvernance dans lequel le citoyen se sent suffisamment respecté, en confiance et en sécurité pour que ce citoyen à son tour évolue de simple sujet passif à citoyen actif et évolutionnaire.
Malheureusement pour nous, aujourd’hui au-devant de la scène deux catégories remplissent le paysage politique, les nocifs et les rebelles. Ni les uns ni les autres ne sont capables d’impacter le reste des Tunisiens pour les pousser à devenir de bons citoyens. Ils cherchent à se légitimer auprès d’un peuple sciemment assisté. Ce mode de fonctionnement ne renforce que la soumission et la passivité citoyenne. Bien entendu nous demeurons dans la recherche d’un sauveur plutôt que de favoriser notre propre passage de sujet à citoyen évolutionnaire.
Or, seuls les peuples composés d’une majorité de citoyens consciemment évolués permettent la stabilité politique qui à son tour permet la croissance économique et la pérennité d´une nation.
A l´idée de publier mes réflexion, je me suis demandée si je ne risquais pas de blesser et si ça ne serait pas mal pris par les uns et les autres. Cette simple pensée m’a permis de réaliser qu’après 67 ans d’indépendance dont douze années de transition démocratique, j’en suis encore à me questionner sur mon droit à la libre pensée. Puis le devoir citoyen a pris le dessus.
Les saisons finissent toujours par se succéder et notre printemps finira par arriver, il faut juste prendre le temps de la maturité.
Par Neila Charchour,