La présente réflexion essaye d’expliquer les fondements du statu quo monétaire adopté par la BCT, et d’attirer l’attention sur les difficultés rencontrées par la politique monétaire, dans un environnement marqué par l’assèchement des sources de financement externe et miné par des considérations politiciennes.
La BCT semble privilégier, avec raison, le statu quo monétaire en maintenant son taux directeur inchangé à 4 %. Cette position est cohérente avec son diagnostic conjoncturel.
D’une part, l’inflation est aujourd’hui surtout d’origine non monétaire. De ce fait, tant que le banditisme continue de faire la pluie et le beau temps dans les circuits de distributions, tant que la fièvre revendicative continue d’infecter tous les secteurs et de nourrir l’inflation à travers les effets de second tour (second- round effects), et tant que le dinar est toujours sur un trend baissier, la hausse du taux directeur de la BCT, quelque soit son ampleur, ne pourra jamais empêcher la flambée des prix.
D’autre part, dans cette période de flou institutionnel, de montée de l’insécurité, et du bricolage budgétaire, la variable taux d’intérêt a déserté temporairement le radar des investisseurs tunisiens.
La baisse du coût de financement est sans effet, si les investisseurs ne sont pas disposés à consentir des crédits en raison de l’assombrissement du climat des affaires par des facteurs extra-économiques. Du coup, sa baisse serait incapable de booster la décision d’investissement et de déplomber le climat des affaires. Au contraire, elle pourrait plonger davantage le taux d’intérêt réel en territoire négatif, et pénaliser une épargne nationale, largement vaporisée par la ruée vers les actifs réels (immobiliers et fonciers).
« Au total, comme la reprise solide n’est pas pour demain, et comme les tensions inflationnistes pourraient perdurer au-delà de l’épisode actuel, alors, l’hypothèse la plus probable s’avère celle d’un maintien prolongé du statu quo monétaire ».
« La conduite de la politique monétaire en temps de crise est un exercice de haute voltige. D’ailleurs, la BCT n’a pas lésiné sur les moyens. Elle a réussi avec brio à éviter le spectre du credit crunch qui plane sur l’économie tunisienne depuis le 14 janvier. La responsabilité du grippage des canaux de transmission de la politique monétaire incombe au mauvais traitement des dossiers de la transition démocratique, qui a fini par polluer le climat des affaires et plomber l’initiative d’investissement ».
La politique monétaire à la recherche de nouvelles pistes
Le manque de dynamisme du marché obligataire prive l’autorité monétaire de recourir à de nouveaux instruments non conventionnels (quantitative easing, credit easing, operation twist, …) qui ont fait leurs preuves ces dernières années. Car, le dynamisme du compartiment secondaire du marché obligataire pourrait permettre à la banque centrale d’agir directement sur les taux d’intérêt à long terme à travers des opérations d’achats de bons du Trésor (BTA dans notre cas). Or, tant que le Trésor public et les banques ne s’impliquent pas sérieusement dans l’animation du marché, et tant que les institutionnels n’adhèrent pas à une gestion dynamique de leur portefeuille de titres de créance, alors, le marché secondaire obligataire restera à la marge.
Par contre, les faiblesses du contrôle et de la supervision bancaire alimentent la fragilité des banques et pèsent sur la croissance économique. Sur ce terrain, la BCT devrait montrer plus de fermeté pour respecter la réglementation en vigueur, et plus de réactivité pour répondre aux attentes de la profession. Car, nous observons une focalisation du débat sur la restructuration des banques publiques. Aussi symbolique et sensible soit elle, la question de l’assainissement des établissements bancaires publiques n’est qu’un élément d’une réforme globale du secteur financier (supervision bancaire, régulation macro-prudentielle, marché des actions, marché obligataire, secteur des assurances, régulation macro-prudentielle, ..), qu’elle ne doit ni éclipser ni prendre en otage.
Quand la politique prend l’économie en otage
Espérons que le cri d’alarme de la BCT trouve enfin des oreilles attentives. Car, si la conduite de la politique monétaire semble rassurer temporairement, les fragilités structurelles du pays (déficit budgétaire, déficit courant), conjuguées au tarissement des sources de financement externe devraient d’une part, laisser le dinar tunisien sous pressions baissières, et d’autre part, glisser davantage l’économie dans les méandres de l’impasse financière. L’heure n’est plus aux décisions gouvernementales qui dissimulent des placements à terme électoraux. L’heure n’est plus aux tergiversations politiques, ni aux grèves à répétition qui empestent les calculs politiques. L’heure n’est plus à un accord boiteux mais plutôt à une prise de conscience de toute la classe politique et de toutes les composantes de la société civile sur l’intérêt d’un pacte économique, pour pouvoir réussir les réformes structurelles incontournables afin de débloquer la machine économique. L’heure n’est plus aux tergiversations politiques, mais c’est l’heure d’un pacte économique pour pouvoir débloquer la machine économique.
Sinon, les perspectives d’une dégradation de la situation économique laissent craindre l’émergence d’un populisme exacerbés, un créneau porteur pour arracher des voix lors d’une prochaine échéance électorale, mais aussi fédérateur en temps de crise. Une telle dérive risque de bloquer les réformes, et d’imposer des orientations économiques fort déstabilisantes pour les grands équilibres macroéconomiques. Du coup, l’année 2014 serait encore une année ratée, et l’année 2015 serait trop courte pour nous offrir de la marge pour honorer nos engagements de 2016-2017 (emprunt qatari, emprunt américain, emprunt japonais, ..). L’économie tunisienne est loin d’être tirée d’affaire.
Moez LABIDI
Professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Mahdia
Conseiller économique auprès de MAC SA