Il y a quelques semaines, des réticences au retour de la Syrie à la Ligue arabe se faisaient encore entendre. Les plus explicites et les plus déterminées sont celles qui venaient du Qatar. Le 13 avril dernier, le Premier ministre du Qatar, Mohammad Ben Abdelrahmane Al-Thani, est allé jusqu’à qualifier les déclarations sur un prochain retour de la Syrie au sein de la Ligue de « spéculations ». Car, expliquait-il très sérieusement, « les raisons de son expulsion sont toujours d’actualité ».
Trois semaines après, le dimanche 7 mai, la Syrie retrouve son siège duquel elle fut expulsée en 2011. « Les délégations du gouvernement de la République arabe syrienne siégeront de nouveau à la Ligue arabe », lit-on dans le texte voté à l’unanimité, à huis clos, au siège de la Ligue arabe, dans la capitale égyptienne. Le président Bachar al-Assad est donc « le bienvenu s’il le veut » au sommet annuel des chefs d’État de l’organisation panarabe le 19 mai à Jeddah, en Arabie saoudite, a précisé le secrétaire général de la Ligue arabe Ahmed Aboul Gheit.
Pourquoi les dirigeants qataris ont-ils pris le risque de se mettre dans l’embarras en s’opposant avec force jusqu’au dernier moment au retour de la Syrie dans le giron arabe qui était devenu inéluctable le jour où l’Iran et l’Arabie saoudite ont signé l’accord de réconciliation à Pékin au mois de mars dernier ?
Il faut dire que la haine, l’animosité et la rancune que ressent le Qatar vis-à-vis du régime en place en Syrie sont si fortes que le petit émirat espérait jusqu’au dernier moment bloquer un tel retour. Avaient-ils eu le temps et la perspicacité d’analyser les conséquences du dégel irano-saoudien, les décideurs qataris auraient peut-être mis une sourdine à leur hostilité viscérale contre la Syrie et évité ainsi la situation embarrassante dans laquelle ils s’étaient mis en s’obstinant à naviguer à contre-courant.
Tout aussi aveuglés par la haine et l’animosité envers la Syrie sont les Etats-Unis d’Amérique. Déjà en mars 2022, alors que la guerre d’Ukraine venait d’éclater et l’establishment washingtonien était dans tous ses états, la Maison blanche a trouvé le temps de s’inquiéter de la visite qu’effectuait alors le président syrien aux Emirats arabes unis. « Nous sommes profondément déçus et troublés par cette tentative manifeste de légitimer Bachar al-Assad », affirma Ned Price, le porte-parole du département d’Etat, cité par l’AFP dans une dépêche datée du 20 mars 2022…
Le 7 mai 2023, la frustration est plus grande encore à Washington. Une frustration que cache mal la réaction, plutôt modérée, de Washington : « Nous pensons que la Syrie ne mérite pas sa réintégration à la Ligue arabe pour le moment », lit-on dans un communiqué laconique du département d’Etat.
Fidèle à son réflexe de danser au rythme de la musique américaine, l’Union européenne n’a pas sauté de joie à l’annonce du retour de la Syrie au bercail arabe. Bien au contraire, l’institution bruxelloise a juré qu’elle ne normalisera jamais ses relations avec la Syrie « tant que le problème politique n’est pas résolu ».
En fait, ce qui inquiète réellement les Américains et les Européens, ce n’est nullement le retour de la Syrie à la Ligue arabe en lui-même, mais l’interprétation de cet événement comme étant un autre signal de la perte d’influence progressive des puissances occidentales. Comme une claire indication du peu de cas que les pays arabes (une importante composante du « sud global ») font désormais des désirs des Etats-Unis d’Amérique.
Bien loin le temps où les désirs de la Maison blanche étaient des ordres ; bien lointaine l’époque où les pays du Golfe obéissaient au doigt et à l’œil aux instructions venues de Washington.
N’oublions pas que l’Amérique a échoué à forcer l’Arabie saoudite à augmenter la production de pétrole pour faire baisser les prix ; elle n’a pas pu empêcher le rapprochement irano-saoudien ; elle a lamentablement échoué à rapprocher Israël et l’Arabie saoudite ; elle prend acte du retour de la Syrie à la Ligue arabe auquel elle s’est opposée avec virulence…
Quoi qu’en pensent ses ennemis, l’important est que la Syrie est à nouveau membre de la Ligue arabe. La bonne nouvelle est que ce pays meurtri par plus d’une décennie de guerre destructrice qui lui fut imposée en 2011 est sur la voie de la normalisation de ses relations avec le reste du monde arabe.
Mais ce n’est qu’un petit pas au regard de ce qui attend le peuple syrien et ses dirigeants. L’ampleur des destructions est telle que, selon les estimations de l’ONU, pas moins de 250 milliards de dollars sont nécessaires pour reconstruire le pays. Ceux qui ont financé pendant dix ans la destruction de la Syrie financeront-ils sa reconstruction ?