Nous y voilà. Comme chaque année, à la même période, la tension monte d’un cran à l’approche du baccalauréat. C’est quelque part légitime quand on considère les sacrifices consentis pour en arriver là. Ça l’est encore plus chez les parents, saignés à blanc qu’ils sont par des cours particuliers, devenus particulièrement nécessaires en ces temps de disette éducative.
Il faut dire que le bac, de même que son homonyme marin, est un outil nécessaire pour franchir le cap, même si les temps changent et qu’on a franchi le pont depuis belle lurette, notamment pour les bras de mer. Le changement de mode de transbordement a été adopté avec succès depuis longtemps à Bizerte comme à Radès. Par contre et pour ce qui est de l’ascenseur social par le bac, il y a comme du retard à l’allumage, alors que le feu couve depuis un long moment. Tout le monde sait que les classes se vident, quand elles ne sont pas, le plus souvent, en train de tourner à vide. La preuve en est que les diplômes les plus élevés ne correspondent plus à grand-chose quand on veut gagner sa vie honnêtement. Même gagner sa vie tout court, et ce, au grand désespoir des parents, des jeunes et de l’Etat.
Avec le bac, on n’a guère de compétences particulières au boulot
Le pire dans tout cela est qu’on a comme l’impression que toutes les administrations, tous les syndicats, toutes les corporations, toutes les chefferies tiennent à ce que tout reste en l’état. La dernière trouvaille du syndicat de l’enseignement quant à la rétention et au blocage des notes a tenu en haleine tout le pays, avec les angoisses qui préparent les cassures de la solidarité sociale. Mais qu’à cela ne tienne. C’est comme si tous les protagonistes de cette empoignade avaient oublié que la machine de l’enseignement en question était grippée, avec ou sans rétention des notes, avec ou sans augmentation salariale. Le but ultime du secondaire est de préparer au baccalauréat au moment même où les acteurs économiques, toutes spécialités confondues, disent ne pas en tenir compte pour recruter. Ils ont le choix à d’autres niveaux et puis surtout, avec le bac, on n’a guère de compétences particulières au boulot.
Notre système éducatif
Là comme ailleurs, le plus urgent est de faire semblant, en appelant héroïquement à rejoindre la table des négociations. Pour négocier quoi, en fait, quand l’Etat, éventuel employeur, est en faillite et que les enseignants ont de moins en moins de clients pour continuer à entretenir l’illusion. Sauf que beaucoup de ceux qui ont appris des choses à l’école de la République, ne se font plus d’illusion et jugent plus pertinent pour eux de s’embarquer sur des rafiots déglingués pour chercher à survivre ailleurs. Le nombre de morts en mer n’est pas le premier à démontrer d’une manière tragique qu’on n’arrive vraiment plus à gagner sa vie après avoir fréquenté les bancs de l’école. Les parents endeuillés sont désemparés à force de ne pas avoir su, de ne pas avoir pu garder les enfants qui, histoire de chercher un peu d’air, sont menés à « brûler » pour passer le bras de mer qui nous sépare de l’Italie, en faisant de leurs bras un geste tout à l’honneur de ceux qui restent. Il ne s’agit pas là d’immoler l’école sur l’autel de l’éducation, mais l’école telle que pensée aujourd’hui n’est certainement pas la solution à tout. Il ne s’agit pas de la sacrifier, mais à regarder de près le nombre d’apprentis bouchers tunisiens que le Canada a recrutés cette année, il y a de quoi s’étouffer par le sang qui monte à la tête. Les faits sont là, même si le discours sur la validité de ce certificat d’aptitude à la vie estudiantine, ne plaît pas à tout le monde, et surtout, bouscule des certitudes bien ancrées dans notre société. Cela fait mal, sauf qu’il faut se mettre à l’évidence que le bac, aussi important qu’il est, n’est qu’un exemple dans un monde où toutes les aptitudes ou presque sont appelées à changer ou au moins à évoluer très sensiblement.
Autrement dit, notre système éducatif, tel qu’il est aujourd’hui, ne sera qu’un gouffre qui engloutira nos enfants. Un gouffre plus profond que les abimes de Padirac, avec la variante que ça ne sera pas beau à voir.
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 869 du 10 au 24 mai 2023