« La pénurie de pain est inadmissible et intolérable. Comme nous n’acceptons aucune atteinte à notre souveraineté, le pain et les produits de base des citoyens sont une ligne rouge». Ainsi martelait le président de la République, Kaïs Saïed, en pointant du doigt « ceux » qui nous volent notre pain pour mieux affamer le peuple. Mais, la spéculation est-elle la seule et unique raison de la pénurie de la principale source alimentaire pour nos concitoyens ? Il est permis d’en douter.
Scènes de bousculade comme aux premiers jours de Ramadan, longues files d’attente devant des boulangeries aux étalages parfois vides; frénésie de consommation de pain des Tunisiens suite aux rumeurs persistantes sur une éventuelle pénurie de cette denrée de base, emblème de notre sécurité alimentaire; le pain à deux dinars à Hajeb Layoun dans le gouvernorat de Kairouan soit plus que 10 fois le prix de la baguette subventionnée… Il n’a pas fallu plus au président de la République Kaïs Saïed pour saisir l’enjeu de cette menace sur le pain quotidien des Tunisiens. Avec en arrière-plan, les souvenirs traumatisants des émeutes de pain en 1984 toujours vivaces dans notre conscience collective.
Une ligne rouge
« La pénurie de pain est inadmissible et intolérable. Comme nous ne n’acceptons aucune atteinte à notre souveraineté, le pain et les produits de base des citoyens sont une ligne rouge ». C’est ce que martelait le chef de l’Etat lors d’une visite effectuée lundi 22 mai au siège de l’Office des céréales, un département stratégique relevant du ministère de l’Agriculture, où il s’est entretenu avec le ministre Abdelmonem Belati.
Cherchez le coupable
A qui la faute ? A des causes multifactorielles dont la sécheresse persistance de trois années qui a frappé de plein fouet nos grandes cultures; ainsi que la rareté du blé dur et du blé tendre sur les marchés mondiaux à cause du conflit russo-ukrainien ? Pour Kaïs Saïed, le coupable est tout désigné : les lobbies et certaines parties, sans les nommer expressément comme à l’accoutumée, sont responsables des pénuries touchant le pain, le sucre, le café et peut-être même bientôt le carburant. Et ce, à des fins politiques.
« Il est impératif, insiste le Président de constituer un front uni contre ceux qui s’infiltrent au sein de l’administration pour servir les intérêts de parties bien déterminées. Je les connais nommément ».
Etrange. Car il s’agit de toute évidence dans l’esprit du maître de Carthage d’un complot fomenté par ceux qui se sont « infiltrés » dans les administrations pour servir les intérêts de « parties déterminées ». Alors qu’il les connait « nommément », qu’attend-il, lui qui possède en une seule main tous les leviers du pouvoir, y compris l’appareil sécuritaire et la justice, pour traîner les responsables devant les tribunaux pour atteinte à la sécurité alimentaire de la Tunisie ? A moins que « ces parties » ne soient plus puissantes que l’Etat. Et à moins que la spéculation aussi crapuleuse soit-elle, ne soit qu’une des causes de la pénurie récurrente des matières de base. Mais pas la seule.
Avec quels moyens ?
« Le pain du citoyen et les produits de première nécessité doivent être disponibles, et il incombe au ministère de l’Agriculture, à l’Office des céréales et à tous les services étatiques concernés, de lutter contre les spéculateurs », préconisait le Président.
Soit, il est du devoir de l’Office des céréales de lutter avec plus d’énergie afin d’empêcher les circuits de distribution parallèles de monopoliser les céréales notamment dans les circuits parallèles. Là s’arrête son rôle, à la puissance publique de prendre la relève.
Mais, ce département stratégique qui se trouve désormais en première ligne a-t-il les moyens de mener à bien cette tâche titanesque alors que le problème réside ailleurs? En effet, n’est-il pas de notoriété publique que l’Office des céréales doit à la Banque Nationale Agricole quelques 4,5 milliards de dinars ?
Spéculation, monopole et lobbying
Rappelons que pour le locataire du palais de Carthage, le problème de la pénurie des matières de base ne réside pas tant dans les caisses de l’Etat, désespérément vides, mais dans des « tentatives menées par certains pour envenimer la situation et provoquer des crises ». C’est encore un leitmotiv du discours présidentiel qu’il tenait samedi dernier en recevant à Carthage la ministre du Commerce et du Développement des exportations, Kalthoum Ben Rejeb Guezzah.
Selon un communiqué publié par la présidence de la République : « La pénurie de pain dans un gouvernorat est inadmissible, alors qu’il est disponible dans d’autres régions avoisinantes ».
Toujours selon la même source, « l’absence ou le manque d’autres produits dans certaines régions, comme le café et le sucre sont dus aux pratiques illicites comme la spéculation et le monopole ainsi que le contrôle des circuits de distribution par certains lobbys qui exploitent le peuple ».
La vérité est que, eu égard aux caisses vides de l’Etat, aux finances publiques en loques, aux atermoiements des bailleurs de fonds, notamment le FMI, qui soufflent le chaud et le froid, les pouvoirs publics sont acculés à désigner un mouton sacrificiel : des spéculateurs manipulés par des partis politiques, dont plusieurs leaders sont derrière les verrous, qui interviennent sciemment pour perturber les circuits de distributions; poussant ainsi à la grogne sociale et menaçant par ricochet la paix sociale.
C’est un peu court comme raisonnement puisque l’on effleure ainsi une partie et non les racines du problème. Une sorte d’écran de fumée pour passer à côté de l’essentiel : la restructuration en profondeur du secteur stratégique de l’agriculture. Il en va de la sécurité alimentaire de notre pays.